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Un réconfortant Voyage dans la lune à l’Opéra de Limoges

Il est des moments où la représentation d'une œuvre rare vient très opportunément contrebalancer l'humeur du moment. Cette production du Voyage dans la lune d'Offenbach réjouit le public de l'Opéra de Limoges par sa partition évidemment mais aussi par une mise en scène très inspirée et créative et une troupe de chanteurs et de danseurs tous engagés dans une joie communicative. Tant qu'il y aura du rire …

Librement inspiré du roman d'anticipation de Jules Verne, Le Voyage au bout de la lune d'Offenbach est une œuvre d'une très grande densité qui aborde de nombreux sujets qui, accentués par les adaptations des dialogues, collent encore plus à l'actualité : le féminisme, la spéculation boursière, la peur de l'autre, la frustration, l'altérité et l'enrichissement par les différences, le consortium des conseils scientifiques et des médecins, les virus … Bref, vous l'aurez compris, on baigne dedans, on se reconnait et on rit du miroir qui nous est tendu par le recul humoristique que le spectacle propose. Il est peu dire que ces représentations proposées par l'Opéra de Limoges, le à l'initiative de la redécouverte de cette œuvre et Génération Opéra (ex Centre Français de Promotion Lyrique) qui pourvoit à l'insertion professionnelles des jeunes artistes lyriques, apparaissent comme un objet salutaire, réconfortant en des temps de morosité et d'inquiétude.

Opéra féérie en 4 actes et 23 tableaux, les actions s'enchainent sans temps mort grâce à un dispositif scénique où avec une économie de moyens et une grande simplicité d'approche pour un opéra « grand spectacle », la créativité (on assiste en réalité à la création du film de Méliès, costumes désopilants et lisibles, chorégraphie inspirée et inclusive) le dispute à la poésie (la découverte de « la pomme », les deux amoureux qui volent sur fond de tableau coulissant) avec une efficacité redoutable qui souligne en permanence le besoin d'altérité et les « surprises » que peut procurer la nature humaine et les traditions des uns et des autres. A titre d'exemple, au terme d'un voyage où notamment la place de la femme sur terre et dans la lune est comparativement et humoristiquement interrogée, une nouvelle dimension apparaît dans les dernières minutes avec l'apparition du prince caprice faisant tomber le travestissement de la soprano (tradition opératique s'il en est) interrogeant de manière simple et maligne les rapports entre l'amour et le genre. Il est ainsi appréciable que derrière les rires, il n'y ait ici rien de gratuit, comme d'ailleurs dans toute l'œuvre d'Offenbach.

Pour faire vivre ce dispositif, de jeunes artistes lyriques réjouissants, homogènes, scéniquement investis et parfaitement accompagnés par des danseurs et acrobates époustouflants qui trouvent leur juste place dans une partition ponctuées de ballets. Une vraie troupe et une belle cohésion.

Après un tour de chauffe qui lui semble nécessaire, la mezzo-soprano s'épanouit pleinement et donne une fraîcheur admirable au Prince Caprice, héros de la partition qui nourrit l'action de ses rêves insensés. Doté d'une diction irréprochable, ce mezzo sonne parfois comme un soprano aux aigus faciles et aux modulations élégantes qui confèrent beaucoup de délicatesse à ce personnage adorablement insupportable.

Son amoureuse princesse Fantasia est campée par une jubilatoire qui apporte au personnage le mordant, le piquant mais aussi des nuances de grâce nécessaires. Soprano colorature aux aigus impressionnants, elle se joue des difficultés de la partition avec une agilité remarquable qui lui donne toute liberté pour créer son personnage de princesse frustrée, désirante et ardente qui amuse la salle de ses délires vocaux et de ses tribulation.

Elles sont entourées par leurs deux pères de rois tout aussi réjouissants l'un que l'autre. Le roi V'lan du baryton est admirable de cocasserie et affronte avec panache les onomatopées de sa partition quand le Cosmos du baryton-basse est une merveille de bêtise « machiste » à la voix séduisante, bien posée et sonnante parfaitement à l'aise dans ce style français léger.

Ils sont chacun flanqués de leurs « ministres scientifiques », Microscope et Cactus, des ténors et dont on admire le jeu de scène, la veine comique et le placement parfait de la voix. La popotte (Cécile Galois) de Cosmos, affublée d'un costume éponge qui la renvoie à son statut de femme « accessoire » dédiée aux tâches ménagère est parfaite de drôlerie et de diction et son mezzo-soprano opulent laisse entrevoir de belle choses. Dans la même lignée la Flamma de Jennifer Michel expose une ligne de chant bien tenue et de belles envolées. Le prince Quipasseparlà du ténor apporte une caricature savoureuse du collectionneur-boursicoteur avec une voix séduisante, très assurée sur l'ensemble de la tessiture et particulièrement bien projetée.

Enfin, le chœur est maintes fois sollicité et l'on connait la difficulté de la mécanique du petit Mozart des Champs-Elysées qui est ici parfaitement maîtrisée. Tout ce petit monde est emporté par (également chef du chœur) à la tête de l'orchestre de l'Opéra de Limoges qui se distingue par le soin apporté à chaque pupitre (les cuivres et les bois notamment) sans jamais perdre de vue la dynamique qui emmène chaque fin d'acte à bon port, celui du galop, de la joie et du pétillement.

Un spectacle qui réconforte les spectateurs réunis ici autour de l'idée qu'au final, la terre, c'est tout de même pas si mal, même si …

 Crédit photographique : © Steve Barek

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