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Xenakis célébré par les Percussions de Strasbourg

Créées en 1962, Les fêtent leur soixantième anniversaire et le centenaire de la naissance de avec un livre-disque monographique où sont « relues » deux œuvres cultes écrites à leur intention.

L'équipe s'est entièrement renouvelée mais les deux pièces, Persephassa (1969) et Pléiades (1979) sont inscrites au répertoire de la phalange strasbourgeoise. Elles ont été souvent rejouées en concert et plusieurs fois gravées, avec « cette évolution des regards » dont parle l'éminent percussionniste dans les pages du livre-disque et cette maîtrise des instruments avec laquelle, quarante plus tard, les six musiciens abordent ces deux partitions.

Chaque pièce est pour Xenakis le fruit d'une réflexion sur l'espace, sur la circulation du son (cinématique sonore) entre les sets de percussion qu'il positionne différemment : avec le public autour des instrumentistes dans Pléiades, une pièce pour laquelle les musiciens ont adopté depuis 2017 une formation en cercle. Inversement, les six percussionnistes entourent le public dans Persephassa, en adéquation avec le lieu dans lequel l'œuvre a été créée.

Persephassa (nom archaïque de Perséphone) est une commande de Mehdi Bousheri pour le festival des Arts de Chiraz-Persépolis (Iran) accueillant des musiques traditionnelles venues du monde entier (Xenakis y entend la musique de Bali) et des créations occidentales. L'œuvre sera donnée sur le site grandiose de l'Apadana : « Les six groupes d'instruments ont été répartis circulairement entre les vestiges des colonnes du palais de Darius » , écrit Anne Sylvie Barthet Calvet partageant les textes de présentation avec . « Pour les besoins de la cinématique sonore, les six percussionnistes y sont disposés selon la répartition parfaitement régulière d'un hexagone qui enserre le public et sont munis d'instruments de timbres homogènes ». Xenakis a recours aux algorithmes (technique des cribles) pour élaborer ses périodicités rythmiques, garantissant le renouvellement constant des comportements instrumentaux et des structures temporelles. La première partie en témoigne, confiée à la matité des peaux qui plait à Xenakis et cette variété des allures (roulement, crépitement, déflagration, jeux de registres et de dynamiques, superpositions rythmiques, etc.) qu'engendre la combinatoire des nombres. L'homogénéité du timbre et la variété de ses déclinaisons sont un pur régal sous les baguettes des six interprètes. La résonance s'immisce dans la seconde partie avec la participation des métaux (les ondulations du gong), le scintillement des crotales et l'égrènement des simandres (planches de bois ou de métal frappées par un maillet de bois). L' association de timbres y très délicate (profondeur des peaux et sons grêles des simandres, sons glissés des petites sirènes, etc.) dans un espace qui joue avec le mouvement et les silences. La dernière partie amorce la rotation du son entretenu par les six percussionnistes, dans une technique de relais très sophistiquée, une sorte de machine infernale dont les musiciens actionnent les rouages jusqu'au « tourniquet final », dans l'accélération du tempo et le brouillage des sonorités : sans débordement pour autant, avec l'efficacité et l'économie du geste offrant une lecture au plus près de l'esprit xenakien.

Au cours des dix années qui séparent Persephassa des Pléiades, Xenakis est allé en Indonésie avec une bande d'amis (, , …), tous invités par et à découvrir les musiques de Bali et de Java. Il en rapporte les couleurs, celles du gamelan, et un fond de « pentaphonie » qui s'entendent au sein des Pléiades, dans la section des claviers notamment. Plus inédit encore, Xenakis fait construire un nouvel instrument, le sixxen (mot valise incluant les trois premières lettres de Xenakis), un clavier métallique de dix-neuf hauteurs intégrant les quarts et tiers de ton, confié à chacun des percussionnistes et conçu de manière à ce que les instruments jouant ensemble ne produisent jamais d'unisson. Plusieurs générations de sixxens se sont succedées depuis la création des Pléiades en 1979. Depuis 2021, les jouent la quatrième version de l'instrument conçue par Paul Gueib qui en a amélioré le châssis permettant des techniques de jeu plus variées. L'intervention des sixxens (Métaux) constitue la partie la plus longue des Pléiades, joignant à la richesse des combinaisons rythmiques la singularité du timbre harmonique et le spectre infini des couleurs.

C'est l'énergie primale et sauvage qui envoûte dans la section Peaux : souplesse du rebond, vitalité du jeu conçu cette fois dans la continuité du flux et précision de la frappe, du fff au ppp : autant de qualités déployées sous les baguettes de nos six musiciens en parfaite synergie. L'ordonnance des quatre mouvements, Claviers, Métaux, Peaux, Mélanges dans les Pléiades est laissée au choix des instrumentistes qui ont décidé dans cette version de débuter par Mélanges et cette salve de Sixxens qui booste l'écoute. L'écriture y est asynchrone, variant les couleurs, les dynamiques et les associations des trois matières percutées qui alternent et se superposent, dans le plaisir du jeu et la jubilation du son mis en partage.

Il est conseillé d'écouter les deux pièces au casque pour vivre l'expérience sonore en totale immersion.

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