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Don Pasquale à Dijon : aimons libres

L'Opéra de Dijon clôt sa saison lyrique avec une production d'envergure de l'opéra-bouffe de Donizetti.


Don Pasquale/Pantalone, Malatesta/Scappino, Ernesto/Arlequino, Norina/Colombina : basé sur les caractères de la commedia dell'arte, considéré, dans le monde lyrique, comme l'ultime avatar du genre, le presque antépénultième des 71 opéras de offre, à défaut de la constance de son inspiration, le délectable de son livret inspiré de loin en loin de Ben Jonson dont l'Epicoene, or the Silent Woman en 1609 a régalé plus d'un compositeur : Pavesi (Ser Marcantonio), Mozart (La Finta Semplice), Strauss (La Femme silencieuse – et non La Femme sans ombre, comme le prétend le programme de salle, dorénavant uniquement en ligne à Dijon). Un barbon omnipotent berné par la jeunette (feinte ingénue puis feinte virago) qu'il avait décidé de prendre pour femme, comme par le neveu dont il croyait pouvoir contrôler la vie sentimentale : un scénario qui tourne mine de rien autour de l'idée bien intemporelle du doute saisissant l'homme amoureux qui se demande si le mariage ne va pas transformer sa bien-aimée en mégère…

La metteuse en scène allemande Amelie Niermeyer, plutôt versée jusque là dans la tragédie (Wozzeck, La Clémence de Titus, Cardillac ou Otello) navigue très à l'aise dans les rebondissements d'une intrigue qu'elle utilise à des fins libertaires (une très transgenrée fiesta avec un Ernesto en chaussures à talons devant une banderole amore liberto) et, au final, ouvertement féministes : sa Norina échappera au vieux Pasquale, mais fuira également les bras du jeune Ernesto, comme si elle avait eu vent du destin de la Rosina en feu du Barbier devenue la Comtesse congelée des Noces. Une probabilité vraisemblable vu que cette nouvelle production prend ses quartiers dans un riche bungalow des années 70. Le luxueux décor réaliste de Marie-Alice Bahra est mis en valeur sous tous ses angles par une tournette, parfaite métaphore de la girouette folle qui s'abat sur un quotidien réglé comme du papier à musique : visite guidée de tous les espaces de vie de la riche demeure de Don Pasquale: le mur à poubelles, ou encore celui qui donne sur la rue où stationne la R5 dans laquelle vit Norina. Pasquale, veillé par un désopilant trio de domestiques aux ordres, est un homme qui prend soin de son corps. La première image montre, au petit matin, deux jambes nues déjà en action par-delà le confortable canapé qui jouxte la piscine. Première surprise que ce numéro de charme qui laissait supposer un autre propriétaire que celui dont le corps apparaît ensuite en entier : ces jambes ne sont pas celles de Norina mais celles de Pasquale !


, dont on n'a pas oublié, à Lyon, l'ahurissante Mamma de la formidable production de Laurent Pelly de Le Inconvenienze ed inconvenienze teatrali, autre opéra-bouffe au scénario irrésistible de Donizetti, incarne donc, avec un imposant métier, un Pasquale autoritaire certes mais avant tout encore séduisant : moins un rôle de composition qu'une réflexion amusée sur le temps qui passe et l'âge comme il va. Le rôle lui va comme un gant. Toujours prêt à toutes les facéties, a de quoi se régaler avec la Norina qu'on lui envoie dans les pattes : une déchaînée, aussi tordante (lorsqu'elle se tord les chevilles dans des talons contraignants) que d'un aplomb insolent face à une partie qui lui offre quelques occasions de faire montre de l'abattage vocal dont elle est capable, de l'émouvant Quel guardo il cavaliere introductif jusqu'à un La morale in tutte questo virevoltant et piquant. Ces deux faux tourtereaux d'un jour sont joliment malmenés par , Ernesto de charme dont le timbre ensoleillé fait merveille lors du passage le plus mémorable de la partition, ce mélancolique prélude à Cerchero lontano terra, avec sa trompette à la Nino Rota en ouverture de l'acte II, comme par , Malatesta bien en place, si tactile avec Pasquale, que l'on se met à soupçonner la metteuse en scène de vouloir conduire le spectateur vers un dénouement qui serait bien inédit. Yonas Yajure est parfait en notaire qu' sort de façon hilarante du ruisseau. A partir de l'Acte III, le spectacle cligne même de l'œil vers la comédie musicale lorsqu'en salopettes jaunes et en casquettes orange, le chœur (excellente prestation du Chœur de l'Opéra de Dijon) fait irruption dans la demeure des nouveaux époux pour livrer les folies consuméristes de la maîtresse de maison, ou à la fin, lorsque les très beaux ciels ciselés par les lumières de Tobias Löffler quittent le naturalisme pour faire place à un symbolique tournoiement de constellations (les planètes s'alignent) puis, comme dans un show télévisuel, à un ironique jaillissement chromatique de motifs à base de cœurs unis.

s'avère ce soir plus convaincante dans Donizetti face à un Orchestre de Dijon Bourgogne en belle forme que récemment dans Mozart face à l'Orchestre national Avignon-Provence. La tornade orchestrale introductive de l'Ouverture qu'elle fait s'abattre tambour battant sur la fosse en même temps que l'extinction des feux donne le ton de cette production de luxe qui, bien que plus superficielle que celle de Mariame Clément pour Glyndebourne, Damiano Michieletto pour Paris, ou même Valentin Schwarz pour Montpellier, remplit parfaitement le cahier des charges d'un divertissement haut de gamme qui peine encore, en ce soir de première, à faire le plein du vaste auditorium. La faute, non aux mirifiques moyens engagés à Dijon, mais, selon nous, à une inspiration musicale plus convenue que celle de l'opéra à la trame de départ assez similaire et vers lequel on soupire à plus d'un moment le temps de la représentation : Le Barbier de Séville.

Crédits photographiques : © Mirco Magliocca

Mis à jour le 16/05/2022 à 10h

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