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Les Troyens maladroits de Christophe Honoré à Munich

Un spectacle sauvé par la belle direction de et une distribution dominée par et .

L'Allemagne, certes, a joué un grand rôle dans la carrière de Berlioz, chaque fois qu'il n'était pas prophète en son pays. Aujourd'hui pourtant, ce lien semble bien distendu, au point que cette nouvelle production des Troyens à Munich passe presque pour une curiosité. Il n'est pas sûr, à vrai dire, qu'elle changera quoi que ce soit à cette indifférence : si l'interprétation musicale a beaucoup de qualités, la mise en scène de ne réussit pas grand-chose, même pas les objectifs qu'elle semblait s'être fixés. Le discours programmatique est une chose, mais quand la réalisation scénique de ces idées est à ce point déficiente, on en vient à penser qu'on aurait encore préféré un péplum efficace. Le décor de Katrin Lea Tag n'est ni lisible, ni élégant, ni signifiant, les carrelages décatis de la première partie comme le maladroit complexe balnéaire de la seconde ; qui pis est il n'est pas favorable aux voix. Un bon décor crée un espace, avec des tensions et des convergences ; ici, les personnages semblent perdus, tout petits dans un océan de gris, comme si les dimensions de la scène du Nationaltheater avaient doublé. Et le fréquent clair-obscur des éclairages n'arrange rien.

Pendant l'essentiel de l'opéra, Honoré se contente d'une direction d'acteurs plutôt sommaire, sans intention discernable, qui semble écraser l'émotion. La plus visible de ses interventions concerne l'acte IV, où la place importante des passages orchestraux le débarrasse des impératifs de la narration : des écrans projettent ce qui semble être une esquisse de sa vision de l'œuvre, une communauté ennuyée où les hommes se mettent à faire l'amour entre eux sous le regard apathique des femmes : si on comprend bien ce qu'Honoré a voulu dire, la guerre qui est présente sous différentes formes tout au long de l'opéra est une affaire d'hommes entre eux, dont les femmes sont spectatrices ou victimes. Soit. Mais l'opéra n'offre-t-il pas assez d'occasions de le montrer, autrement que sous la forme de vignettes filmées ? D'autant qu'ils sont longs, ces films : c'est l'effet du théâtre, l'orchestre a beau jouer une musique sublime, la vacuité scénique de ce quatrième acte entraîne un ennui profond.

La distribution aurait pourtant bien mérité du vrai théâtre. est une Cassandre d'élite, à l'aise évidemment avec la diction, avec les lignes pures d'une vraie tragédienne ; son Chorèbe est rien moins que , et leur duo est un parfait moment de grand style. De l'autre côté de la Méditerranée, en Didon est au contraire hors style, forçant sa voix en croyant servir ainsi le drame, et incapable de restituer la lumière des jours heureux, le relatif bonheur de la reine fêtée par son peuple – qui plus est, sa voix s'harmonise mal avec celle de Lindsey Ammann, elle-même assez loin de l'esprit de son rôle. De pur luxe, en revanche, la très belle incarnation d'Ascagne par , avec sa longue silhouette ni adolescente, ni masculine, qui sait exister en scène ; les autres nombreux rôles secondaires, eux, sont assurés au moins avec efficacité, et parfois mieux ( en Hylas).

Le cas Énée est quant à lui plus partagé. Sa vaillance et sa musicalité lui valent des ovations nourries de la part du public, mais il faut bien dire qu'il est sur la corde raide dans ce rôle terrible, avec une voix blanche qui ne lui permet pas la nuance. Le problème de la soirée est aussi sa plus grande qualité : l'orchestre dirigé par fait l'événement, tant Rustioni, qui deviendra « premier chef invité » de l'Opéra de Bavière la saison prochaine, maîtrise les élans et les couleurs de l'épopée. L'orchestre est dense, toujours allant, riche de nuances autant que de couleurs franches – mais à vrai dire, il n'aide pas les chanteurs à se faire entendre, et c'est un handicap sérieux. Au moins y a-t-il en fosse la tragédie que le traitement scénique nous refuse.

Crédits photographiques : © Wilfried Hösl

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