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John Eliot Gardiner désolant dans Schütz et Bach à Luxembourg

Un très loin de sa réputation, des instrumentistes peu convaincants et surtout un chef inexpressif.

a dû faire découvrir à beaucoup la musique de Schütz, notamment avec un disque enregistré en 1987 et comprenant les œuvres au programme de ce soir. Lui qui, ces dernières années, s'est essentiellement consacré à la musique romantique n'a pour autant pas renoncé à ce répertoire, et on pourrait s'en réjouir, tant il est à la fois essentiel et méconnu. Hélas, sa réalisation musicale version 2022 est décevante au regard de ce que promet le programme. Le passage du temps est d'autant plus sensible à la réécoute du disque que d'autres ensembles, à commencer par l'admirable Vox Luminis, ont fait bien mieux depuis ; mais le concert laisse entendre des manques cruels qui ne permettent même plus de se plonger dans la beauté unique de ces œuvres.

On sait que , partant du postulat que les maîtres de musique de l'époque baroque ne disposaient généralement pas de virtuoses, choisit depuis longtemps de ne distribuer les parties solistes qu'aux chanteurs de son chœur. C'est très juste historiquement, mais encore faut-il que les chanteurs modernes répondent aux exigences de la partition qu'ils doivent interpréter : c'est à peu près le cas pour les ténors et basses, beaucoup moins pour les voix aiguës souvent proches de l'accident.

La soprano solo de l'Actus Tragicus de Bach, elle, a bien la qualité instrumentale nécessaire, mais pourquoi retirer toute expressivité à son imploration ? Le responsable de cette apathie est naturellement le chef et non la soliste (non nommée) : l'absence de travail sur le texte chez Schütz, pour une musique de nature éminemment rhétorique, conduit à un contresens total, comme s'il s'agissait d'une musique purement angélique et désincarnée. Même chez Bach, à vrai dire, Gardiner fait l'involontaire démonstration de ce qu'on perd à prendre la partition comme une musique pure.

Mais il n'est pas question que de choix interprétatifs ici. Le , en effectif plantureux pour cette musique (28 chanteurs annoncés sur le programme), apparaît en bien petite forme. C'est sans doute à Gardiner qu'on doit cette impression d'une polyphonie comme écrasée, où les voix ne respirent pas et cherchent à se cacher l'une derrière l'autre plutôt que de s'affirmer et de dialoguer, mais tout de même : ces attaques floues, cette ornementation si timide, cette absence de couleurs ne sont pas la hauteur de sa réputation.

La place laissée au luth de Thomas Dunford dans le petit ensemble instrumental laisse également perplexe : placé en bord de scène, il fait le spectacle, mais son continuo tantôt trop en retrait, tantôt trop présent, souvent clinquant, semble ignorer ce qui se passe autour de lui. Les autres instrumentistes du continuo sont eux constamment trop discrets, seules les deux flûtes à bec solistes de l'Actus tragicus donnent une idée juste de la force de cette musique. Ce n'est pas suffisant pour effacer les frustrations que laisse l'asthénie générale de la direction de .

Crédits photographiques : © Sim Canetty-Clarke

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