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Frédégonde à Tours : une reine assoiffée de sang

Cette saison a vu renaître nombre d'ouvrages lyriques avec le concours savant du . Qu'il s'agisse de Lancelot, de Hulda, ou bien de Frédégonde, ces ouvrages ont été créés au tournant du XXᵉ siècle, puis complètement oubliés par la suite.

Les écouter revivre dans un laps de temps très court permet d'en apprécier les qualités et d'observer les carences qui peuvent expliquer l'oubli de ces opéras. Inspirés par le milieu du premier millénaire (tout comme les plus connus Le Roi Arthus de Chausson ou Le Roi d'Ys, mais guère plus au répertoire des scènes nationales), ces partitions partagent un goût pour la geste chevaleresque et les meurtres en tout genres sur un canevas pseudo-historique, se situant en cela dans la continuité logique du genre du grand opéra dont le plus fameux compositeur reste Giacomo Meyerbeer.

L'Opéra de Tours fait le pari d'une Frédégonde à l'écriture hybride. Initiée par , la composition est finalement le fruit de l'orchestration de Paul Dukas et de la création des deux derniers actes par , ce qui est perceptible sur la qualité de la partition qui est plutôt conventionnelle sur les trois premiers actes et semble être délivrée dans la seconde partie composée des acte quatre et cinq. Deux représentations en version de concert ont donc permis d'écouter la brillance de l'orchestration et le premier mérite est celui du travail symphonique, bien qu'ici avec un tel effectif les voix soient parfois couvertes. L'exploitation de chacun des pupitres laisse découvrir les ambiances mystérieuses (dans l'emploi doucereux des cuivres au premier acte) et les moirures des cordes.

Les rôles sont équilibrés en fonction du découpage des actes. De façon très ramassée, les actes d'exposition présentent les duos baryton/mezzo-soprano (Hilpéric/Frédégonde) et soprano/ténor (Brunhilda/Mérowig) avec un unique et court quatuor au premier acte, agrémenté de propos guerriers sans aucune page foncièrement attachante. Le deuxième acte présente l'emportement amoureux d'un couple rebelle au pouvoir qui conspire à renverser un pouvoir à force de contre-notes. Il faut finalement attendre la dernière partie pour une confrontation entre les personnages ennemis et le dénouement où un ultimatum politicien amène la tension dramatique et la violence sanguinaire (avec un texte un peu plat, malheureusement).

Amateurs de décibels et de médium corsés ne sont pas déçus par cette distribution intéressante. est un peu en retrait par rapport à d'autres performances, mais il faut s'incliner devant la beauté du registre grave qui semble ne pas connaître de limites. est idéal dans le rôle paternel d'Hilpéric (faussement ?) tourmenté par le choix de faire respecter son pouvoir royal et l'amour pour un fils parjure, au moyen d'un timbre assombri, d'une prononciation idoine et d'un bel engagement dramatique. en Mérowig parvient habilement à négocier avec une tessiture qui dépasse un peu ses moyens lyriques, avec un métier et une expérience qui lui permettent la prudence dans un rôle éprouvant. , en Brunhilda est absolument sidérante dans sa puissance vocale et l'intonation est des plus justes. Sa prestation force d'autant plus le respect qu'elle chante malgré une béquille qui l'aide à se tenir debout, et la fraîcheur de la voix est saisissante par le contraste de sa maturité vocale. En contrepoint de l'horreur des rôles noirs et agressifs, le poète Fortunatus est interprété par le léger , et Prétextat appelle à la réconciliation à l'aide d'une voix sonore et troublante. Enfin, les chœurs (d'adultes et d'enfants) viennent compléter un tableau vocal très abouti.

Assumant une fonction de divertissement, cet opéra redécouvert en version de concert gagnerait assurément à être mis en scène. Dans tous les cas, honneur à l'Opéra de Tours d'avoir pris le risque de cette exhumation.

Crédit photographique : © Marie Pétry/ Opéra de Tours

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