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Les Huguenots à Bruxelles : au complet

Les Huguenots est l'opéra de Meyerbeer qui s'est le plus inscrit dans l'histoire du Grand Opéra. Délaissé au XXᵉ siècle, il suscite un regain d'intérêt sur les scènes européennes depuis quelques années. 

La Monnaie a à cœur de représenter ce compositeur européen avant l'heure, et après Robert le Diable, voici une reprise de la version scénique des Huguenots à Bruxelles. Cette production y avait été créée il y a onze ans, puis accueillie à Strasbourg. Sans avoir l'œil sur la montre et la partition sur les genoux, la version de cette série est très complète. On saisit toutes les intentions entre les personnages par des récitatifs habituellement coupés, on perçoit toutes les caractéristiques des personnages par tous les airs (tel le Rondeau du Page, ou le Choral de Marcel).

La mise en scène d', reprise par Daniel Izzo, reste intemporelle, uniquement tragique (alors que les pages comiques sont en bon équilibre dans l'esprit de Meyerbeer), quand bien même les tensions homosexuelles (la beuverie de l'acte premier) et le désir en pourpoint (dans l'acte deux) restent les stéréotypes du style . Le dialogue se fait entre la salle (où les lumières peuvent ponctuellement s'allumer et s'éteindre brusquement), les espaces sur scène (où interviennent des membres solistes de l'orchestre, telle la viole d'amour), ce qui crée une certaine variété dans les longs actes. Il y a une réelle direction d'acteurs, notamment dans les mouvements de chœurs où les masses se répartissent équitablement, de façon réfléchie, avec une disposition intelligente entre les ensembles et les solistes. L'intervention muet d'un personnage représentant Catherine de Médicis exploite une autre facette théâtrale de l'intrigue.

La distribution vocale est totalement différente des premières représentations bruxelloises et de la série strasbourgeoise. En tout premier lieu, il faut considérer le cas . Le ténor est, nous l'avons rapporté à de multiples reprises, un chanteur aux moyens phénoménaux (fabuleux dans Leicester, remarqué dans Guillaume Tell et dans Armida). Le rôle de Raoul est écrasant, et il y parvient à faire avec ses moyens foncièrement lyriques quelque chose de très honorable. Mais il est assurément à un tournant de sa carrière où les choix risquent d'être imprudents. L'ouverture des voyelles, le passage en force dans l'aigu, la trop grande exposition vocale dans l'ensemble ne peuvent pas convenir à la fraîcheur de sa voix, à son agilité, sans risquer de perdre à terme de sa brillance et de sa cohérence. Par ailleurs, la prononciation est parfois chaotique et peu compréhensible, ce qui s'accentue dans la soirée avec un engorgement important dans le duo du quatrième acte. C'est donc un essai réussi par un tour de force technique, mais qui ne doit pas en rester à ce stade de son évolution pour ne pas risquer de pénaliser une carrière remarquable.

L'acte deux est celui de Diane (symboles connus à l'appui de croissant de lune cynégétique, sur fond de lune grisée), où arrive la brillante . Sa voix acidulée au haut médium tempéré et à la prononciation intéressante lui permet de laisser filer de doux sons comme les ruisseaux de Chenonceau, au legato rêveur et flottant. La flûte traversière s'en fait l'écho de façon cristalline dans la cabalette. L'intervention d'Urbain permet d'apporter une nouvelle vitalité par la voix fruitée d', qui chante également le rare Rondeau du Page (moment où Raoul se fait conduire au bout d'une corde devant Marguerite). Il est regrettable que le duo entre Marguerite et Raoul soit aussi explicitement consommé dans l'acte sexuel, car la musique suggère ce qui n'a pas d'intérêt à être montré (mis à part le plaisir voyeuriste devant les physiques avantageux des deux solistes).

s'oriente dans sa carrière vers les rôles plus corsés que ceux de ses débuts. Ne chantait-elle pas auparavant Urbain, avant que de s'attaquer à Valentine ? Il est vrai qu'elle en a les moyens, qu'elle se donne le temps de construire sa voix et de s'assimiler à une Falcon. L'intériorité de son air et son engagement dramatique dans les ensembles en font la première récipiendaire des lauriers couronnant cette soirée. en Marcel s'inscrit dans la tradition des grandes basses chantantes, attachante, réconfortante dans le timbre, assumant les trilles dans le grave (Grand Trio du dernier acte) et la noblesse de ton dans le Choral.

La direction d' est souple et accompagne intelligemment les chanteurs sans rompre la tension au long de la soirée (peut être juste pourra t-on noter un relâchement dans le duo entre Valentine et Marcel, ou bien la toute dernière scène finale qui manque d'urgence), en créant un esprit de groupe (telle la Bénédiction de Poignards, ou la Conjuration).

Une série de spectacles absolument unique devant la rareté d'une telle œuvre (certes plus présente depuis une vingtaine d'années), avec une mise en scène aboutie et un engagement à tout crin des chanteurs.

Crédit photographique : © La Monnaie / Clärchen Baus

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