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La Salomé bouleversante d’Elsa Dreisig au festival d’Aix-en-Provence

Très attendue, cette nouvelle production de Salomé mise en scène par fournit à la soprano l'occasion d'une prise de rôle bouleversante, servie par la direction millimétrée d' à la tête d'un très réactif et haut en couleurs.

Œuvre vénéneuse, scandaleuse mêlant érotisme et religion, longtemps confrontée à la censure, Salomé de (1905) est un opéra hors normes, sorte de météorite sulfureuse faite de pulsions de vie et de mort. Sommet d'incandescence vocale et d'expressivité orchestrale, il peut être considéré comme un chef d'œuvre absolu alliant modernité, orientalisme décadent et symbolisme expressionniste. Un polymorphisme dont la metteuse en scène allemande ne retient dans sa vision monothématique qu'une seule facette, centrale et omniprésente, celle du désir : un désir décliné dans ses différentes assertions entre désir naissant, désir déçu, désir halluciné marquant les étapes d'un douloureux chemin, haletant, qui conduira Salomé de la vie à la mort. C'est un parcours très intériorisé que nous conte dans une lecture à la fois puissante, originale, épurée et d'une parfaite cohérence thématique.

La scénographie de Raimund Orfeo Voigt, faite de noir et blanc, exaltée par les beaux éclairages d'Alexander Koppelmann, fait appel à plusieurs tableaux : une citation du peintre Caspar David Friedrich (Zwei Männer in Betrachtung des Mondes, 1820) dans une sorte de tableau animé du plus bel effet rappelant l'importance de la Lune dans cet opéra conçu comme une promenade lunaire, espèce d'errance aux couleurs changeantes au gré des émotions et des espaces intérieurs des différents personnages mis en scène ; un sol fracturé qui laisse apparaître la tête de Jochanaan ; une salle de banquet qui n'est pas sans rappeler La Cène de Leonard de Vinci ; une danse des sept voiles revisitée en espace psychique et fantasmagorique ; un monologue final qui se déroule dans un espace clos, carrelé, blanc et froid afin de souligner la solitude de l'héroïne promise à la mort par la prégnance d'un désir inassouvi, au terme d'une longue extase morbide.

La distribution vocale, homogène et de haute volée, fait la part belle au rôle-titre. Une prise de rôle audacieuse et difficile tant vocalement que scéniquement que la jeune soprano aborde crânement avec des moyens vocaux impressionnants et un engagement scénique qui jamais ne se démentent, tant dans la découverte et la force indomptée d'un désir qui s'éveille, que dans la douleur et la rage du refus de l'Autre, ou encore dans l'attente finale d'une mort salvatrice mettant un terme à cette incomplétude taraudante et exacerbée. Cette incarnation scénique irréprochable va de pair avec une voix d'une aisance confondante, alliant puissance, luminosité du timbre, souplesse du phrasé, richesse en nuances et diction sans faille qui vaudront à une longue ovation au moment des saluts. Face à elle, (Jochanaan) ou (Herodes) se montrent également convaincants : le premier par le charisme et l'airain de son baryton, le second par son implication théâtrale à fleur de peau et la vaillance de son ténor dramatique. chante aujourd'hui Herodias, avec le même bonheur qu'elle chantait hier encore le rôle-titre, tandis que (Narraboth) apporte une touche de poésie dans cette belle distribution par la beauté et le legato de son ténor lyrico-romantique aux allures quasi mozartiennes.

Dans la fosse, , straussien reconnu de longue date, mène l' avec maestria, en permanence soucieux des équilibres et de la dramaturgie au sein d'une pâte sonore allégée (réorchestration de 1929) riche en couleurs et performances solistiques. Il contribue ainsi à une magnifique production qui fera date, à n'en pas douter, dans la carrière d'Elsa Dreisig.

Crédit photographique : © Bernd Uhlig/Festival d'Aix-en-Provence

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