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Une Katia Kabanova grand format et intime à Salzbourg

La mise en scène sobre et émouvante de fait l'événement avec la Katia puissante de .

Quelques mois après une très belle Petite renarde rusée, Kosky revient à Janáček sur le vaste plateau de la Felsenreitschule, peu profond mais très large, au milieu des arcades bouchées sans doute pour des raisons acoustiques. On pourrait penser que ces dimensions ne peuvent que conduire au choix du grand spectacle, comme il sait en faire si besoin ; bien au contraire, il offre une vision très humaine, à l'aide d'une direction d'acteurs fine et très attentive aux individualités de ses interprètes.

Le seul décor du spectacle est humain, ou presque : les dizaines de figures alignées en fond de scène au lever de rideau ne sont que des mannequins. Au cours du spectacle, un rideau se ferme régulièrement pendant qu'elles sont réarrangées pour délimiter de façon toujours nouvelle l'espace scénique ; la grande structure mobile qui porte les projecteurs, tantôt très haut, tantôt tout près des acteurs. Ces figures sont de dos, sans traits individuels, matérialisant la société qui, avant même qu'elle ait commis le moindre faux pas, tourne le dos à Katia – les autres personnages de l'opéra, ceux surtout qui incarnent cet anathème silencieux, s'y fondent et en sortent selon les besoins de l'histoire. La masse humaine d'un côté, le vide qui semble promettre tous les possibles : Varvara et Katia le parcourent, en marchant ou en courant, sans cesse en mouvement devant ces figures inertes, sans être pour autant capables de s'abstraire de leur obsédante présence. La grande simplicité du spectacle est loin de nuire à sa force : dans cet opéra si sensible à la cause des femmes, à la liberté de chacune et chacun de choisir son destin, il n'est pas besoin de souligner à grands traits ce qui est déjà au cœur de l'histoire et de ses personnages.

Le cœur émotionnel du spectacle est la grande Katia de , juvénile et ardente (et on ne dira jamais assez combien une grande mise en scène aide les chanteurs à aller au bout de leurs rôles). Il y a un quart de siècle, le rôle était interprété à Salzbourg par Angela Denoke, dans la mise en scène de Christoph Marthaler ; on peut difficilement imaginer des conceptions plus différentes du rôle, mais on se gardera bien de choisir entre ces deux grandes incarnations. Chez Denoke, le feu couvait sous l'enveloppe d'un corps déjà domestiqué, enfermé sans espoir dans un monde qui l'enfermait. Cette nouvelle Katia, elle, ne tient pas en place, souffre beaucoup plus visiblement du carcan qui l'enserre, et ne se résigne pas, quitte à céder par moments à la douleur obsédante qui la traverse. La voix est mobile, précise, bien projetée et expressive : rien de surprenant à ce que sa prochaine saison consacre une telle place à Janáček qui la met si bien en valeur.

Face à elle, l'oppression patriarcale est représentée par la Kabanicha interprétée par avec une autorité glacée, véritablement marmoréenne – le rôle supporterait un peu moins d'expressionnisme et un peu plus de chant, mais sa présence est d'une grande force dramatique. Autour d'elles, la distribution réunie par le festival est de bon niveau sans révéler de personnalités très fortes ; s'en détachent surtout , collaborateur enthousiaste de Kosky au Komische Oper, en égoïste veule, et surtout la belle Varvara, petite sœur encore adolescente et complice, de . La fosse, elle aussi, est plus efficace que proprement enthousiasmante : il s'agit certes de l' et du compétent , mais le spectacle aurait mérité plus d'ardeur et de naturel, que la beauté sonore de chaque pupitre ne peut remplacer.

Crédits photograhiques : © SF / Monika Rittershaus

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