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Mythologies d’Angelin Preljocaj au Théâtre du Châtelet : les figures du mythe

Angelin Preljocaj éblouit le Théâtre du Châtelet avec des Mythologies ancrées dans l'histoire tant antique que contemporaine et réinterprète nos rapports aux récits et aux symboles, entre classicisme et innovation.

Mythologies, nouveau grand ballet narratif d', raconte l'histoire des hommes à travers les figures mythiques des dieux. Spectacle de danse parmi les plus ambitieux qui nous est donné à voir sur les scènes françaises depuis le début de la saison (le spectacle a été créé en juillet à l'Opéra national de Bordeaux), cette fresque de l'ampleur de Siddhartha, qu' avait créé en 2010 pour le Ballet de l'Opéra de Paris, ou plus récemment de La fresque, est une histoire sans paroles.

Le plateau est nu, tout au long du ballet, à l'exception du tableau du Minotaure pendant lequel des pans de décors manipulés par des danseurs viennent envahir la scène. Un immense écran en fond de scène reflète des vidéos à l'esthétique lisse mais séduisante, signés par l'artiste Nicolas Clauss, accompagnant avec plus ou moins de réussite la chorégraphie. Les danseurs du Ballet de l'Opéra national de Bordeaux et du se réunissent ici dans une parfaite alchimie, fruit d'un travail de quatre années autour d'épisodes marquants de la mythologie, des Amazones à Arès en passant par le Minotaure ou même une interprétation de la lecture barthienne du spectacle qu'est le catch.

Le ballet est accompagné de la musique de qui, s'il fut il y a quelques temps un des fondateurs des Daft Punk, propose ici une composition très classique, proche de la musique de film, jouée en fosse par un flamboyant qui s'empare de cette instrumentation riche, avec beaucoup de nuances et de couleurs différentes. Uniquement instrumentale, cette partition manque d'une dimension vocale qui donnerait plus de tension au récit et de caractérisation aux personnages.

Si Angelin Preljocaj a pu proposer durant sa longue carrière des ballets abstraits aux tonalités très contemporaines, tels les récents et très réussis Gravité et Winterreise, il renoue ici avec une danse d'inspiration néoclassique, bien que d'une radicale nouveauté permise, entre autres, par la thématique.

En effet, les mouvements sont amples et fluides mais semblent interrompus dans leur développement. Les danseurs avancent par touches impressionnistes mais l'ensemble s'ancre avec plus de force dans la tradition symbolique, d'autant plus appuyée que le propos le permet avec force. Chaque geste signifie, les bras dessinent des images évocatrices, le tout est graphique et sensé, parfois noyé dans la proposition narrative, qui aurait mérité une dramaturgie plus limpide. La chorégraphie ménage de très belles parties aux danseurs masculins, dont la technique permet l'interprétation de ces propositions ciselées et précises. Cantonnées à la fluidité et à une forme plus éthérée, les parties féminines semblent plus évanescentes, à l'exception des tableaux consacrés aux Amazones, où laisse libre cours à son écriture guerrière, familière depuis A nos héros, l'une de ses premières créations.

Les cheveux, les visages, la sensualité propre aux duos renversants, les costumes d'Adeline André, entre figuration de loups ou d'animaux sortis de l'Eden, installent un imaginaire fait de figures pleines de signifiés. Cependant le ballet dépasse ces récits en les surreprésentant et affiche de manière épurée une beauté cristalline, piégée dans un geste original, loin des habituels déroulés sans heurts vus dans Le lac des cygnes ou le célèbre Parc par exemple.

Angelin Preljocaj continue à se réinventer avec des danseurs cherchant un envol alors que pris dans la glace, à la manière du cygne de Mallarmé, figés et brillants, légers et sensuels. Plusieurs tableaux sont particulièrement remarquables, comme celui de Zeus et Danaé, prétexte à un très beau duo, ou la danse des Naïades, nymphes des sources, des fontaines et des lacs. La beauté des corps se laisse voir dans une double appréhension : par l'image mythique fixée et le geste dansé et libéré. Si Rimbaud dans sa Saison en enfer a déclaré avoir posé la beauté sur ses genoux et l'avoir trouvée amère, force est de constater que, construite avec autant de minutie et d'intelligence, elle se présente ici éclatante et brillante.

Crédits photographiques : © Jean-Claude Carbonne

 

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