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Deux approches du Bourgeois gentilhomme pour les jeunes

Cette année nous vaut deux éditions du Bourgeois gentilhomme pour la jeunesse, inspirées par des logiques radicalement différentes.

Le travail d' chez Flammarion jeunesse n'est pas une édition complète. De discrètes mentions sur la couverture et la page de titre nous en avertissent : il s'agit là de scènes choisies et commentées, dix-neuf sur trente-huit précisément, l'autre moitié étant résumée brièvement. L'ouvrage est destiné à un jeune public, à partir de 8 ans, et tout est fait pour ne pas perdre le lecteur en route. Même dans les scènes retenues, certaines subissent des coupes sévères (la scène 1 de l'acte 1, réduite à trois répliques), qui parfois nuisent à la compréhension (la scène 1 de l'acte 2 débutant par un menuet qui tombe comme un cheveu sur la soupe), voire représentent une occasion manquée de donner aux plus jeunes une référence largement partagée (la scène 4 de l'acte 2, celle du maître de philosophie, qui se termine sur l'énoncé du fameux « Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour » en en escamotant l'épisode des renversements). Dans les marges, un petit chat s'adresse au lecteur et commente les événements pour les rendre plus compréhensibles ou les mettre en perspective. Les illustrations de , claires façon BD franco-belge et pleines de fantaisie, ponctuent efficacement le récit ainsi que le dossier. Ces 30 pages qui forment une seconde partie intitulée En coulisse sont solides sur le fond, arrivant à parler de et de son temps, du monde du théâtre et de ses coutumes, de son vocabulaire, de ses métiers… avec beaucoup d'exactitude et en apportant mine de rien un grand nombre d'informations. Mais est-il vraiment nécessaire, et plus productif, de « parler jeune » quand on s'adresse aux enfants, avec des expressions telles que « Corneille est une tronche », «  est un punchlineur de génie » ou « c'est classe de clasher comme Molière » ?

Le parti pris de Didier Jeunesse est radicalement différent, avec un bel album relié au format généreux et à la typographie élégante. Le texte est donné sans coupure et, au contraire du livre de Flammarion, toutes les didascalies sont conservées, y compris celles concernant les entrées des ballets. Le Ballet des nations, qui clôt la comédie, souvent absent des représentations comme des éditions, est également présent. Un court dossier de donne, avec une plume de très bonne tenue, des informations de contexte et une intéressante ouverture sur les mises en scène qu'a connues la pièce, de Molière et sa création en 1670 à Valérie Lesort et Christian Hecq en 2021. Peut-être un lexique n'aurait-il pas été de trop (qui sait aujourd'hui ce qu'était un rhingrave ?), de même que quelques explications sur le Ballet des nations, véritable œuvre dans l'œuvre.

Cependant, l'intérêt principal de cette édition réside dans les illustrations de , déjà remarquée par exemple pour une Flûte enchantée ou un album consacré à Monteverdi. Variant les techniques, alternant des frises drôlatiques et des pleines pages somptueuses, l'illustratrice ne cherche pas à coller strictement au texte. Sa vision de Molière est plus onirique que franchement comique. C'est sur la scène d'un théâtre rêvé que semblent prendre place les personnages, voire sur celle d'un cirque. Ici de grands turbans et des costumes de derviches tourneurs sont suspendus au-dessus des personnages (acte I), là monsieur Jourdain est accompagné d'un dindon quand il prête de l'argent à Dorante (acte III scène 4), là encore Nicole et Cléonte se font face sur des escarpolettes évoquant des trapèzes en pleine forêt, dans la grande scène où ils s'affrontent, de concert avec Nicole et Covielle, sur fond de quiproquo (acte III scène 10). Voilà en tout cas de quoi ravir les parents, qui auront tout intérêt à accompagner les enfants dans cette lecture, conseillée par l'éditeur à partir de 10 ans.

Et la musique dans tout cela ? Car Le Bourgeois gentilhomme est sûrement la comédie-ballet la plus accessible au jeune public. Il est fait allusion au genre dans l'ouvrage d' (Flammarion), mais cela ne va pas plus loin, ce qui est d'autant plus regrettable pour un ouvrage pouvant servir de support pédagogique. consacre une pleine page au rôle de la musique dans la comédie-ballet et notamment aux deux œuvres insérées dans des scènes, le menuet de l'acte II et la Marche des Turcs de l'acte IV, dont on voit deux fac-simile. Aucun extrait musical n'est proposé sous une forme ou une autre, mais l'essentiel est que la lecture de ces livres donne envie aux jeunes (et moins jeunes) de voir Le Bourgeois gentilhomme sur scène.

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