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Recyclage pour une messe des morts de Mozart à l’Opéra de Bordeaux

L'Opéra National de Bordeaux propose un Requiem de Mozart, mis en scène par et conçu dans une démarche écologique et durable où tous les décors et costumes ont été recyclés de productions précédentes. Une bande-annonce de l'opéra de demain ?


Ce n'est pas la première fois que l'on peut assister à un Requiem de Mozart, mis en scène. Romeo Castellucci l'avait fait en 2019 au festival d'Aix-en-Provence. Mais la particularité de cette production est qu'elle s'est faite sans achat. Cette production a en effet mobilisé les ateliers de l'ONB pendant plus d'un an pour aboutir à ce spectacle entièrement « recyclé », des décors aux costumes. A ce titre, on ne peut s'empêcher de penser aux interrogations que se posait Jean-Philippe Thiellay dans son essai « L'opéra s'il vous plaît », sur les évolutions que l'opéra devrait prendre pour survivre. Parmi les pistes que l'ancien directeur adjoint de l'Opéra de Paris avait avancées, il abordait notamment la question du « verdissement » de l'opéra avec l'idée du recyclage écologique mais aussi économique. La démarche est plus que louable, elle est nécessaire. Dans un contexte menaçant, elle pousse les institutions à redoubler d'ingéniosité et de créativité.

C'est donc le genre de spectacle où l'on rentre en souhaitant ardemment être convaincu. Qu'il nous soit pourtant permis d'être perplexe face à la proposition scénique de dont on a du mal à comprendre le propos. Qu'a-t-il voulu exprimer avec cette production où Mozart (seul costume d'époque) entre en scène au milieu d'un chœur habillé de vêtements modernes, couverts de poussière, et qui fait évoluer des cercueils comme une scène modulable (isolés, puis en carré, puis en croix) en ménageant des pauses musicales un peu longues ? Mozart disparaît (meurt ?) laissant sa redingote immaculée au milieu du chœur implorant (hommage ?), la soprano incarnant le compositeur revenant habillée comme le chœur pour le final. Les explications fournies dans le livret ne nous livrent que des réflexions abstraites et assez basiques évoquant le 11 septembre, les images de cercueils fabriqués à la va-vite pendant la crise du COVID … Tout cela manque singulièrement de liant et de lisibilité pour convaincre totalement.

Et puis, cet espace sobre et ouaté, peuplé de cercueils de bois, entouré de voilages blanc, puis de panneaux de miroir mobiles pour cohérent qu'il soit, ne parvient pas réellement à démontrer que l'on peut faire un spectacle grandiose et éblouissant avec le seul recyclage des productions passées. Sans minimiser le travail sans doute considérable des ateliers, cela sent précisément trop la sobriété et le « recyclage » alors que la gageure aurait été de démontrer au public que l'on peut faire grandiose et éblouissant avec du recyclage. Tel n'était sans doute pas la commande de l'Opéra de Bordeaux et évidemment le concept entre parfaitement en résonance avec l'œuvre qui nous parle de la vie après la mort mais n'est-ce pas un peu court ?

La salle est toutefois pleine à craquer et la proposition emporte manifestement l'adhésion du public. Certaines images comme celle du panneau de miroirs s'abaissant sur les corps et les cercueils sont suffisamment belles et saisissantes pour considérer que cette première tentative est imparfaite mais stimulante. Affaire à suivre donc.


Du côté de la fosse et des chanteurs, la proposition est là aussi parfois surprenante, et plus particulièrement la direction du jeune chef espagnol qui semble au départ très précipitée, sans respiration (souvent très préjudiciable à la musicalité mozartienne) et sèche. Toutefois, rapidement, une cohérence s'installe. Le « Rex » du Rex Tremendae, sonne court et sec comme une révolte et éloigne l'œuvre de l'ampleur religieuse pour l'emmener sur le terrain du drame humain. Dans la même lignée, le Dies Irae expose des coups de fouets incroyables de précision et confèrent là encore beaucoup de théâtralité avant l'apaisement du Lacrimosa. Bref, on est un peu bousculé par cette vision, mais parfaitement servie par un orchestre et un chœur (dirigé par ) qui en restituent toute la complexité des changements de rythme. Du côté des solistes, on sort impressionné par l'autorité et la voix riche et caverneuse de , la clarté du timbre haut perché du ténor , la sureté de la basse mais surtout par la soprano , voix onctueuse et planante qui illumine le plateau avec beaucoup d'élégance.

Crédits photographiques : © Éric Bouloumié

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