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L’explosif Lear d’Aribert Reimann à Munich

Dans une mise en scène stimulante de , et dominent une distribution solide.

Le retour de Lear à l'Opéra de Munich en mai 2021, dans la maison où l'opéra de Reimann avait été créé en 1978 avec Dietrich Fischer-Dieskau et Julia Varady, avait de quoi faire l'événement, mais la pandémie en avait décidé autrement : la mise en scène de et l'incarnation de Christian Gerhaher dans le rôle-titre n'avait pu être vues que par un petit nombre de spectateurs en salle et, fort heureusement, par une retransmission par Arte Concert. La courte série programmée en janvier et février 2023 est donc un rattrapage bienvenu, même si elle n'a pas bénéficié d'un effort de communication similaire à une première. Du point de vue musical, les spectateurs n'y perdent rien : offre une interprétation bien différente de celle de Gerhaher, qui était plus proche de celle de Fischer Dieskau. Son timbre beaucoup plus noir, plus concentré, n'a pas cette chaleur élégiaque, cette humanité douloureuse et résignée de ses devanciers ; la folie de ce Lear est plus noire, plus obsessionnelle, plus consciente peut-être.

Marthaler joue constamment en contrepoint de la violence inouïe de la partition de Reimann, dont les longues périodes fortissimo chassent une partie du public à l'entracte (la direction énergique et théâtrale de n'arrondit pas les angles) : la violence tragique est d'abord intérieure, dans les corps, sans qu'il soit besoin de faire voir la tempête et le vent ; même la violence physique est réduite à sa plus simple expression. Seul le personnage de Goneril, dans l'interprétation toujours saisissante d', ne se laisse pas enfermer dans le rôle qui lui est assignée, avec une gestuelle féline et un sourire ravageur de méchante hollywoodienne – et elle affronte sa terrible partition avec un naturel confondant, sans commune mesure avec sa sœur et leurs pauvres maris. L'autre grand plaisir vocal de la soirée est le « pauvre Tom » alias Edgar, , entre voix de poitrine et contre-ténor, lui aussi excellent acteur, qui offre au public quelques-uns des rares moments d'accalmie, si perturbante que soit la folie calculée du personnage.

Le décor toujours saisissant d'Anna Viebrock situe l'action dans un musée défraîchi, combinant histoire naturelle et arts premiers, grandes ouvertures vitrées au plafond, directement inspiré du musée d'histoire naturelle de Bâle. Au mur, dans de grandes vitrines, des insectes géants et des objets ethnologiques, dont Lear s'occupe au début du spectacle et à sa toute fin, tandis qu'un factotum s'occupe aussi bien de guider les visiteurs que de déplacer vitrines et caisses. Dans ces vitrines, cependant, on y trouve aussi des hommes et des femmes, les personnages de la tragédie qui y sont eux-mêmes parqués, objets de musée eux-mêmes avant de redevenir acteurs de leur propre perdition. Ce Lear n'a pas tout à fait la force des Contes d'Hofmann ou de Lulu, où Marthaler et son équipe faisaient presque œuvre de plasticiens, réinventant la fonction du spectacle théâtral par rapport à l'opéra préexistant. Ici, la distance est moindre, mais si ce spectacle est moins singulier, il garde une force qui repose surtout sur l'art de Marthaler, fin musicien lui-même, pour faire entendre la musique : le monologue de Lear perdu sur la lande, où Reimann creuse le bruit de la tempête pour laisser Lear déposer ses mots d'abandon, n'est pas un moment d'agitation théâtrale. Ce que Marthaler met en scène, c'est la tempête qui pénètre le corps et le cœur du personnage, et à travers lui l'auditeur-spectateur.

Crédits photographiques : © Wilfried Hösl

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