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Tilson Thomas chez Deutsche Grammophon et Argo : un legs à thésauriser

Le coffret Eloquence regroupe l'intégralité des enregistrements Deutsche Grammophon et Argo du chef d'orchestre et pianiste . Un artiste charismatique, au répertoire immense et dont il faut saluer l'importance de la discographie alors qu'il vient de quitter définitivement la scène pour des raisons de santé.

Les gravures de Tilson Thomas avec les symphoniques de Boston, de Londres et le New World Symphony ne peuvent rivaliser en nombre avec le legs (80 CD) gravé pour la Columbia, RCA et Sony. Ici, pas de symphonies de Mahler, de Beethoven et de Brahms comme le précise finement Peter Quantrill, rédacteur du livret (hélas uniquement en anglais) ; L'élégance, la finesse et la subtilité de la direction du jeune chef marquent ces enregistrements des années Boston puis ceux de ses débuts avec le Symphonique de Londres dont il devint le directeur musical en 1988.

Assistant de William Steinberg à Boston, Tilson Thomas dirigea pour la première fois la phalange à l'âge de 24 ans. D'origine à la fois ukrainienne et russe, il grava en premier la peu jouée Symphonie n° 1 de Tchaïkovski. La rutilance de la prise de son souligne les qualités d'une lecture à la fois incisive, mais aussi fluide et sans pathos. L'opposé, presque, d'un Bernstein. En 1972, sa première version du Sacre du printemps n'a pas la sensualité, mais déjà la dimension narrative de la seconde lecture avec San Francisco (1997). L'influence, peut-être, d'un Boulez. Le Roi des Etoiles est flamboyant, jouant du lien avec la musique religieuse orthodoxe, que Tilson Thomas connaît parfaitement.

La musique américaine est au cœur du répertoire de ce coffret. Three Places in New England de Ives et Sun-Treader de soulignent, sous sa baguette, la définition rigoureuse d'une polyphonie complexe. Tilson Thomas stupéfia le public assez conservateur de Boston en dirigeant ces pétitions américaines. Peu de chef en ont clarifié depuis les architectures, lissé les effluves encore postromantiques. Tilson Thomas est tout aussi convaincant dans la tenue rythmique, “swingante” parfois, de la Symphonie n° 2 de . Peut-être la meilleure version de la partition. Le Concerto pour violon de Schumann est d'une veine très lyrique et sans duretés. L'accord avec le violoniste et les dialogues entre les pupitres sont un régal. Composé en 2000, l'argument du ballet Il Sogno d' repose sur le Songe d'une nuit d'été de Shakespeare. Connu avant tout pour ses chansons, le compositeur offre une pièce qui a passablement vieilli. Tout au long des 24 numéros de la partition, Tilson Thomas met en lumière une orchestration qui se veut hispanisante sinon exotique avec force vibraphone et cymbalum. Le Symphonique de Londres qui a gravé le plus grand nombre de musiques de films de tous les orchestres internationaux est à son affaire. Voilà une écriture plaisante à défaut d'être géniale. Les pièces de représentent un tout autre défi. Le chef obtient un raffinement sonore qui impressionne dans ces partitions comme surgies de nulle part : elles sont construites par strates et créent des effets hypnotisants. Le caractère scintillant de Coptic Light est magnifié par la liberté des dialogues entre les pupitres. Le langage d', compositeur exilé dans les années trente en Californie et hélas passé de mode, est littéralement porté par Tilson Thomas qui se régale des contrastes rythmiques. Le style fortement néoclassique et teinté d'éclats de jazz évoque tout autant Stravinsky et Hindemith. Le saxophone de est étincelant. L'orchestre swingue dans A Music for Brass Instruments, musique joyeuse et sans arrière-pensée tout comme le ballet lyrique The Tower of Saint Barbara, davantage symphonie que chorégraphie sous la direction d'un chef aussi inventif.

C'est dans On the Town de Bernstein que l'on mesure la dimension artistique de Tilson Thomas. Avec moins d'effets que le compositeur lui-même à la baguette, il creuse davantage les registres d'une œuvre qui tient autant du pastiche “néo-Prokofiev” que d'un style latino-américain recréé de toute pièce. Qui plus est, la distribution associe des voix exceptionnelles dans des styles très éloignés les uns des autres : , et face à , et la diva du jazz  !

La “vitrine” latino-américaine se poursuit avec le . Tilson Thomas est à son aise dans pages rutilantes (il le démontrera par la suite notamment chez Villa-Lobos). Sorti pour la première fois en 1992, l'album Tangazo ! inaugurait une série d'enregistrements pour Argo et qui se sont poursuivis avec RCA. Quelle saveur que ces morceaux d'une énergie propre à réjouir les passionnés de Hi-fi haut de gamme !

Deutsche Grammophon et Argo ne réservent qu'une place secondaire à la musique française et au répertoire concertant. Les Images pour orchestre et le Prélude à l'après-midi d'un faune de Debussy sont joués avec une simplicité qui tranche, pour le Prélude, avec la gravure ultérieure du Symphonique de Londres. Pour autant, Tilson Thomas montre à quel point il est à l'aise, soucieux des moindres détails et de stimuler les chefs de pupitres. Même constat lorsqu'il tient avec un caractère juvénile, la partie du piano dans les sonates de Debussy.

Du côté des concertos, offre deux lectures attachantes des concertos de Schumann et de Grieg. Non seulement, les tempi sont mesurés et, de fait, creusent les dialogues chambristes avec les pupitres, mais l'art du chant est présent à chaque phrase tant la respiration semble naturelle. La connivence est tout aussi remarquable entre le chef et qui, au départ, devait enregistrer le Concerto pour violoncelle n° 1 de Chostakovitch sous la direction de Bernstein. Malheureusement, il disparut avant les premières séances. L'engagement, la puissance sans agressivité de l'orchestre et du soliste, mais aussi la prise de son d'une grande profondeur portent ces deux opus gravés en 1993. Aujourd'hui encore, ils font partie des références de la discographie.

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