Beau succès pour un spectacle grand public mobilisant plus de 200 personnes, menacé par la météo et quelque peu gâché par des conditions acoustiques difficiles.
Très nettement inspirée du spectacle donné en 2017 aux Chorégies d'Orange, la mise en scène d'Aïda par Paul-Émile Fourny aura permis à 8 000 personnes, pas forcément habituées à fréquenter les murs de l'Opéra, d'admirer le chef d'œuvre de Verdi. Sis dans le stade de football de la ville, dont la nouvelle Tribune Sud est actuellement facilement transformable en amphithéâtre, l'opéra aura donc en une soirée attiré autant de spectateurs que pour dix représentations au Théâtre de l'Eurométropole de Metz. Les conditions acoustiques proposées par un stade de foot, certes, sont loin d'être idéales et l'on ne saurait espérer dans un tel lieu la qualité de son que l'on peut trouver, sans micro, aux Arènes de Vérone ou au Théâtre antique d'Orange. La sonorisation de l'orchestre, des solistes vocaux et des soixante-quinze choristes aura produit un son certes audible depuis tous les gradins – avec cependant d'étonnantes variétés de qualité selon les places – mais généralement sourd, mat, et maladroitement réglé, avec notamment une prédominance gênante des basses. La proximité de l'autoroute A31 n'aura pas non plus aidé pour les scènes intimistes qui ne font pas appel aux déferlements choraux et orchestraux. Pour autant, il serait vain de bouder notre plaisir, et la qualité générale du spectacle, autant pour la réalisation scénique que pour l'exécution musicale, aura eu raison des réserves que l'amplification sonore pouvait à juste titre susciter.
Le parti pris d'un tel spectacle, destiné en grande partie à un public composé de personnes qui assistent vraisemblablement à leur premier opéra, est d'éviter une lecture ou une position qui pourrait indûment éloigner le propos de son objet initial. Le plateau de 60 mètres de long et 20 de large dressé sur la pelouse du stade sert ainsi à une démonstration visant à décrire et mettre en scène cette incroyable civilisation égyptienne que découvraient alors, peu après Champollion, les contemporains de Verdi. Cet immense espace se prête ainsi à un déploiement de choristes, danseurs et figurants, tous magnifiquement costumés grâce à l'admirable travail de Giovanna Fiorentini. Si l'on ne peut qu'être admiratif du réglage minutieux des entrées et des sorties et de l'étonnante fluidité des déplacements, on pourra en revanche trouver un peu kitsch les éléments de la scénographie inspirée du regretté Benoît Dugardyn. Posés sur des blocs de marbre, obélisque, pyramide, temple, dieu Anubis, masque de Toutankhamon, sont déplacés par une astucieuse machinerie qui permet de créer une sorte de labyrinthe scénique et de dessiner l'espace de manière à créer des lieux différents. On goûte davantage les superbes images vidéo projetées sur écran LED, qui créent tout d'abord une ambiance de fouilles archéologiques, mais également un univers symbolique habilement mêlé à certains éléments du spectacle, notamment les parties chorégraphiées, également projetés sur l'écran. Le glaive donné à Radamès au premier acte, l'automate cheval du deuxième, différents éléments de paysage se substituent efficacement aux gros plans et agrandissements des solistes que l'on voit généralement dans ce genre de circonstances. Un spectacle éminemment visuel, donc, qui fonctionne aussi bien pour les scènes de foule, particulièrement impressionnantes, que pour les passages plus intimistes. Pour la scène du Nil, notamment, les projections très poétiques d'un paysage nocturne, soutenues par les superbes éclairages de Patrick Méeüs, créent le climat idoine que l'on attendait. La scène du tombeau, montrant Aïda et Radamès assis sur le trône qui aurait pu leur revenir, crée un petit moment de surprise. Autre élément un rien décalé, la présence d'un scribe installé à différents endroits du plateau, semblant relater pour la postérité les événements qui se déroulent sous les yeux du spectateur.
Sur le plan vocal et musical, tous les éléments sont rassemblés pour faire de cette soirée un grand moment, en dépit des conditions acoustiques déjà évoquées. Sans doute l'amplification aide-t-elle les chanteurs aux voix habituellement menues, par exemple l'exquis soprano de Léonie Renaud, Grande Prêtresse presque surdimensionnée dans un tel contexte. De même, le personnage du Messager, incarné ici par le ténor Teddy Métriau, est plus audible qu'à l'accoutumée. La qualité de l'amplification ne permet pas vraiment de distinguer les timbres des deux basses, mais Mischa Schelomianski en Ramfis et Giovanni Furlanetto en Roi sont tous deux à la hauteur de la situation. Massimo Cavalletti, en Amonasro, est un authentique baryton Verdi, sûr de ses aigus triomphants et chantant avec autorité un rôle court auquel il donne toute son importance. Prestation très remarquée d'Emanuela Pascu en Amnéris, avec des graves de bronze, des aigus retentissants et de superbes couleurs vocales sur toute la ligne. En dépit de quelques aigus parfois émis en force – le si bémol de « Celeste Aïda », notamment, suivi de la répétition de « vicino al sol » à l'octave –, Marcelo Álvarez est un magnifique Radamès, aux somptueux phrasés et au timbre de toute beauté. En Aïda, la soprano Elena O'Connor dispose d'un instrument long et richement timbré, assez égal sur toute la tessiture avec quelques beaux aigus qu'elle a tendance à prendre en-dessous, et un vibrato quelque peu excessif qui pourrait être gênant dans d'autres emplois.
Pour une fois réunis, augmentés par ailleurs de plus d'une vingtaine de supplémentaires, les choristes des Opéras de Metz et de Nancy donnent une magnifique prestation, largement saluée par un public enthousiaste. Prévus pour être installés entre la scène et la tribune mais finalement, en raison des mauvaises conditions météorologiques, protégés sous une tente-barnum mise sur le côté, ce sont les musiciens de l'Orchestre national de Metz Grand Est, sous la direction de Paolo Arrivabeni, qui pâtissent le plus des mauvaises conditions acoustiques. On ne saurait en tout cas remettre en cause la qualité de leur jeu, autant pour les scènes aux grands effets de masse que pour les pages les plus délicates de la partition. Mention spéciale pour la remarquable qualité logistique de l'organisation d'un événement que la pluie, longtemps annoncée, a finalement épargné.
Crédit photographique : © Philippe Gisselbrecht – Opéra-Théâtre de l'Eurométropole de Metz
Modifié le 12/06/2025 à 15h32