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À Montpellier, Il Trionfo del Tempo e del Disinganno par Les Arts Florissants

Pour fêter ses quarante ans, le propose une programmation éclectique, où la musique baroque n'est pas oubliée avec Il Trionfo del Tempo e del Disinganno de dirigé par William Christie.

Premier oratorio composé par Haendel en 1707, à l'époque de ses années romaines, sur un livret du cardinal Benedetto Pamphili, il fut repris et revisité deux fois par le compositeur une fois installé à Londres. L'argument repose sur la dispute entre quatre personnages allégoriques : le Temps et la Désillusion d'un côté contre la Beauté et le Plaisir de l'autre. Choix cornélien pour la jeune Beauté : s'adonner aux charmes du Plaisir ou choisir la vie d'ascèse vantée par la Désillusion. Quatre chanteurs, pas de chœur, c'est une version minimaliste de la forme de l'oratorio qui donne une grande place à l'orchestre, allant jusqu'à inclure une sonate pour orgue jouée à l'époque par le jeune Haendel lui-même. On se souvient des mises en scène qui accompagnaient les versions d'Emmanuelle Haïm à Aix-en-Provence en 2016 et de Thibault Noally à Montpellier en 2020. Ici, dans une version de concert, rien qui ne vienne détourner l'attention de l'auditeur du cours très spectaculaire de la musique elle-même.

La distribution vocale est exemplaire. Dans le rôle du Temps, le ténor anglais offre une belle présence théâtrale et une voix ample et souple que l'on avait déjà appréciée dans la version de Thibault Noally en 2020. Dans l'air Urne voi, l'évocation des squelettes sur fond de tremblements de l'orchestre fait grand effet. C'est la contralto américaine qui incarne la Désillusion avec beaucoup de conviction. Dans l'air Se la Bellezza, elle donne le ton de l'œuvre dans un émouvant dialogue avec le violoncelle élégiaque de David Simpson. La mezzo-soprano anglaise Rebecca Leggett dégage une grande présence scénique dans le rôle du Plaisir. C'est à elle que revient d'incarner un moment fort de l'œuvre, l'incontournable air Lascia la spina, qui sera repris par le compositeur dans son opéra Rinaldo (Lascia ch'io pianga) en un tube planétaire. Elle y fait preuve d'une très grande intensité dramatique. Et son dernier air Come nembo, tout en fureur et en virtuosité, appelle les grande scènes de folie des tragédies haendéliennes. C'est la soprano qui tient avec sensibilité le rôle-clef de la Beauté. Si elle manque parfois un peu de puissance pour passer au-dessus de l'orchestre (surtout lorsque les quatre violoncelles se déchaînent), sa voix souple aux très beaux aigus nous touche infiniment. Le dialogue avec le violoncelle solo dans l'air Io vorrei due cori est un grand moment d'émotion. Et c'est son dernier air de repentance, Pure del cielo, sur un tapis de cordes sensibles en un sublime dialogue avec le premier violon d'Emmanuel Resch-Caserta, chanté de plus en plus lentement, qui offre un final d'une très grande intensité.

Il y a de grands moments de virtuosité instrumentale dans l'œuvre, particulièrement pour le hautbois de Pier Luigi Fabretti, y compris une véritable sonate pour orgue qui annonce les concertos qui serviront d'entracte aux opéras de Haendel à Londres. L'orgue, joué avec une grande liberté par le continuiste Florian Carré, symbolise ici « un charmant jeune homme qui charme l'oreille par son jeu ». Suit un dialogue avec le Plaisir qui se termine par une brillante cadence improvisée à l'orgue. Dans la première partie, les violons ont quelques problèmes de justesse vite corrigés. William Christie dirige son orchestre avec une gestuelle minimaliste, soulignée de mimiques qui semblent vouloir remplacer l'absence de mise en scène, comme une mise en jeu à lui tout seul. Les Arts Florissants mélangent efficacement plusieurs générations d'instrumentistes, puisant dans la relève des Arts Flo Juniors. Et c'est un chef qui a fêté en grande pompe ses 80 ans en 2024 qui réunit ici tous les âges pour faire triompher le temps.

Crédit photographique : © Alyssa Leroy

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