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Avec Haendel et Scarlatti, Beaune met à l’honneur l’oratorio italien en langue vernaculaire

Beau coup double avec La resurrezione (1708) de Haendel et Il primo omicidio (1707) de Scarlatti. Deux ouvrages à la fois proches et lointains, servis par des interprètes talentueux et chevronnés.


Avec ces deux oratorios italiens du début du dix-huitième siècle, on aurait difficilement pu rêver de diptyque plus approprié. Pour son deuxième week-end de l'édition 2025, le Festival international d'opéra baroque de Beaune propose en effet deux ouvrages proches dans le temps et relevant tous deux du même genre musical et de la même langue de composition, l'italien vernaculaire. Pour autant, les deux titres sont également parfaitement complémentaires dans leurs différences thématiques et musicales. Le premier, La resurrezione de Haendel, fut créé à Rome en 1708 et relate les événements survenus autour de la figure du Christ entre le vendredi saint et le dimanche de Pâques. Il est essentiellement prétexte à des réflexions philosophiques et théologiques sur le sens de la vie et de la mort, ainsi qu'à des considérations sur le bien et le mal suscitées par la Passion et la Résurrection du rédempteur. Le second, Il primo omicidio d', fut créé à Venise en janvier 1707 et traite quant à lui d'un épisode bien connu de l'Ancien Testament, le meurtre d'Abel par son frère Caïn. Tout en poursuivant l'interrogation sur le rôle de l'humain dans sa capacité à s'auto-déterminer et dans son rapport à la divinité, il se montre beaucoup plus théâtral par sa thématique et par le traitement des passions traversées par les différents personnages du drame : celles des deux frères bibliques, évidemment, mais également celles d'Adam et d'Ève, encore terrassés par le poids de leur propre faute. Le rôle de Caïn, notamment, montre toute la complexité psychologique d'un personnage en proie à la jalousie puis au remords et au repentir, mais aussi au désir d'être aimé et reconnu de son créateur. L'ouvrage s'achève d'ailleurs sur l'espoir et la promesse de la venue d'un rédempteur, belle manière d'établir un lien avec l'ouvrage de Haendel entendu la veille.


Donné non pas dans la Cour des Hospices mais au sein de la Basilique Notre Dame, l'oratorio de Haendel aura souffert de l'acoustique quelque peu feutrée du lieu, ingrate notamment pour la projection vocale des chanteurs au timbre doux et délicat. L'excellente , dont les couleurs vocales délicieusement argentées et le legato de miel auront enchanté l'auditeur tout au long de la soirée, essuie ainsi un peu les plâtres en début d'ouvrage avec un « Disseratevi, o porte d'Averno » virtuose mais légèrement étouffé par les conditions acoustiques. À ses côtés, est une belle et discrète Maddalena, un peu écrasée par la somptuosité vocale de en Cléophas, chanteuse dont les couleurs cuivrées et l'exceptionnelle diction devraient appeler de grandes prises de rôle dans les années à venir. Belle prestation du baryton , aux graves assurés et à la vocalise mordante, mais petite déception du côté du ténor , aux aigus parfois laborieux et à la vocalise incertaine. Sans doute une méforme passagère. Depuis le retrait de son fondateur , a décidé de se produire sans son chef d'orchestre habituel. Comme à Tourcoing il y a quelques mois, l'osmose entre les musiciens de l'ensemble est telle que l'absence de direction n'aura en rien nui à la qualité et à la cohérence de l'interprétation. Autant pour les parties solistes que pour le continuo ou l'accompagnement général, les vingt-six instrumentistes de l'ensemble ont su rendre justice à une instrumentation riche et variée dans laquelle ont particulièrement brillé la viole de gambe de Lucile Boulanger, le violon de Marié Rouquié ou le hautbois de Patrick Beaugiraud. La riche orchestration de La resurrezione contraste en effet avec celle plus modeste du Primo omicidio, essentiellement confiée aux cordes et au continuo.

C'est donc quasiment à un récital du chef d'orchestre et violoniste qu'est convié le public du lendemain, tant est développée la partie de premier violon de l'ouvrage de Scarlatti. Dans l'ouverture comme dans de nombreux airs, notamment le sublime « Perchè mormora il ruscello » chanté par Caïn avant qu'il ne perpètre son geste fatal, le chef de l'ensemble envoute l'assistance de la délicatesse et de la sobriété de ses phrasés, parfois même accompagnés d'un deuxième solo de violon. Là aussi, la cohésion de l'ensemble, la discrétion absolue des instrumentistes dès qu'interviennent les solistes vocaux, sont pour beaucoup dans la qualité de l'évocation de ce premier drame de l'histoire de l'humanité. Chez les solistes, on apprécie surtout l'exceptionnel Caïn de la mezzo-soprano , qui commence à se faire un nom depuis sa victoire au concours Cesti remporté à Innsbruck en 2023. Le naturel et la sobriété de son chant, la beauté intrinsèque d'un timbre aux mille reflets, sans oublier la gestuelle et l'expression faciale qui lui permettent de composer un véritable personnage déchiré et torturé, font de cette incarnation au grand moment du festival 2025. À ses côtés, la soprano sait elle aussi composer en Abel un personnage juste et attachant grâce à un timbre frais et juvénile qui sait traduire l'innocence d'un personnage perçu comme un jeune adolescent. Globalement bien chantante, la mezzo-soprano , à la voix légère et d'une grande facilité dans l'aigu, peine en revanche à donner un vrai relief à sa ligne vocale et à composer avec Ève un personnage véritablement convaincant. Le ténor Petr Kekoranec, quant à lui, déploie en Adam des moyens vocaux conséquents qui devraient sans doute conduire sa carrière vers des emplois beaucoup plus dramatiques ces prochaines années. Très contrastés dans leurs interventions en Voix de Dieu et Voix de Lucifer, le contreténor et la basse font valoir chacun un instrument robuste et bien timbré, particulièrement adapté à leurs personnages respectifs. Soirée très appréciée d'un public et belle occasion aussi de découvrir un ouvrage d'une très belle qualité musicale, idéal pour célébrer dans un lieu emblématique comme les Hospices de Beaune le 300e anniversaire de la mort d'.

Crédit photographique : © Ars Essentia

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