Après London 1720 et London 1740, l'ensemble La Rêveuse achève ici son voyage musical dans le paysage anglais au fil du XVIIIe siècle.
Dans un pays enfin en paix où la vie musicale a été dominée pendant quatre décennies par Haendel, la nouvelle reine Charlotte s'intéresse à la naissance du style galant, illustré par des compositeurs venus d'Allemagne comme Carl Friedrich Abel, le luthiste Rudolf Straube ou Johann Christian Bach, « le Bach de Londres ». Une société oisive et décadente se presse aux soirées libertines organisées par Teresa Cornelys, où prennent place des concerts de chambre. C'est dans cet environnement festif que naissent les Bach-Abel concerts. On y cultive le nouveau mouvement artistique de la Sensibility, cousin de l'Empfindsamkeit allemande. La viole de gambe y vit ses derniers moments, laissant peu à peu la place aux nouveaux instruments : le pianoforte, bien sûr, mais aussi la guitare anglaise et les verres musicaux, ancêtres de l'harmonica de verre. Le programme de La Rêveuse fait la part belle à ces nouvelles sonorités qui s'accordent avec le style galant et la mélancolie des sentiments.
La perfection technique à laquelle nous a habitués La Rêveuse est ici au service d'un élan jubilatoire qui colore ces tableaux de mille nuances subtiles. La viole de Florence Bolton chante avec une belle souplesse. La flûte traversière de Serge Saitta dialogue joyeusement avec les cordes dans les Quartets de J.C. Bach et de C.F. Abel. Sylvain Lemêtre nous fait découvrir les verres musicaux que l'on jouait « au doigt mouillé », avant que Benjamin Franklin ne perfectionne l'harmonica de verre. Benjamin Perrot abandonne son théorbe pour la guitare anglaise ; c'est elle qui accompagne les pièces de viole si élégiaques d'Abel et les airs pour verres musicaux d'Ann Ford. La délicatesse de son jeu solo dans le Largo de Rudolf Straube est d'une sensibilité inouïe. Tout un monde sonore qui influencera durablement le très jeune Mozart en séjour à Chelsea en 1764. Toujours passionnant, le livret d'accompagnement signé par Florence Bolton nous renseigne sur le contexte historique de cette transition musicale entre deux mondes.