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À Gstaad, décevante Norma de Sonya Yoncheva

À Gstaad, la beauté vocale de ne parvient pas à incarner le tragique du rôle-titre de la Norma de Vincenzo Bellini.

Norma de Vincenzo Bellini, opéra emblématique du bel canto ! Dire cela est un lieu commun pour tout amateur d'art lyrique. Norma fait partie de cette dizaine d'œuvres lyriques incontournables de tout un chacun. Carmen, La Traviata, La Bohème, Der Rosenkavalier sont de cette liste. Cela signifie qu'indépendamment de sa notoriété auprès du public, Norma ne peut se traiter « par dessous la jambe ». Et lorsqu'on parle de cet opéra, c'est immédiatement au personnage même de la Norma qu'on pense. Et bien sûr vient à l'esprit le nom des cantatrices qui ont marqué le rôle. Au premier rang desquelles Joan Sutherland, Monserrat Caballé, Maria Callas, Renata Scotto, Anita Cerquetti, Beverly Sills voire plus près de nous, Cecilia Bartoli. Mais on n'est pas Norma parce qu'on est une soprano. On est Norma parce qu'on a, outre les énormes qualités vocales nécessaires au bel canto, l'esprit d'un chant tragique allié à un personnage puissant mais néanmoins torturé, trompé et finalement coupable. On est Norma aussi parce qu'en embrassant le rôle-titre on se pare du statut de prima donna. La prima donna est, par sa présence, par son évidence vocale, par son investissement artistique, celle qui apporte une dimension éclatante, presque supra naturelle à l'interprétation, au délire presque de l'œuvre dans son ensemble.

Or ce qu'a offert dans cette version concertante (mal) mise en espace sur la scène de la Grande Tente du Menuhin Festival, est loin de cet idéal. Là où on attend de la soprano qu'elle entraîne, par son chant, par son jeu de scène, par sa présence, par sa compréhension profonde du personnage de Norma, les autres protagonistes du plateau vers une prestation qui vous emporte, on assiste à un alignement de phrases chantées sans conviction. À l'image de son « Casta diva » qui en doit beaucoup plus à l'écriture musicale de Vincenzo Bellini qu'à ce qu'en révèle le chant sans couleurs de . Certes la voix est belle, bien posée, pleine de joliesse, avec ce qu'il faut de legato, mais elle ne raconte rien de cette incantation à la lune, à sa paix et à son harmonie céleste. La soprano se repose sur son savoir vocal, imaginant que celui-ci suffit pour habiter le personnage. Au passage, oubliant la rigueur de la partition, elle nous gratifie de nombreuses approximations. Laborieuse dans les récitatifs, à la limite de la justesse dans les aigus, reprenant souvent son souffle, elle montre les limites de son agilité dans la cabalette de « Casta diva » bâclée à souhaits. Sa Norma est vocalement monolithique, sans volonté de nous dévoiler les tourments qui assaillent son personnage. Chantant fréquemment de profil, parfois même tournant le dos aux spectateurs, on la voit s'approcher de l'estrade du chef comme pour lui demander conseil et se retourner face au public que pour émettre ses notes les plus fortes. Quant à la gestuelle, elle se résume, en dehors de ceux parmi les plus conventionnels du théâtre, à passer ses mains dans sa chevelure la faisant aller d'un côté à l'autre de sa tête. Au moins lui aura-t-on admiré les trois robes qu'elle porte lors de ce spectacle quelque peu indigent. Une blanche scintillant de strass, suivie d'un fourreau noir recouvert d'un manteau noir aux enjolivures cousues d'or pour enfin voir l'ultime : une robe immaculée aux envahissants volants ; les unes comme les autres de ces robes n'ayant d'ailleurs que peu à faire avec l'intrigue ou le personnage de Norma.

Àses côtés, (Adalgisa) habite le personnage de la jeune druidesse en devenir avec un soin tout particulier. Malheureusement desservie par l'acoustique peu réverbérante de la tente du Festival – à quand une salle de spectacle digne de ce festival et de la richesse environnementale de Gstaad ? – la voix de la soprano française ne parvient pas toujours à passer la rampe pour qu'on puisse apprécier pleinement l'épaisseur de son personnage.

Loué dans nos lignes pour sa récente prestation dans Norma à Berlin, on ne pouvait que se réjouir d'entendre Stefan Pop (Pollione) reprendre le rôle. Malheureusement, ce qui semble avoir fait mouche sur la scène du Staatsoper ne nous a pas frappé dans cette confrontation concertante améliorée. Si le volume sonore, parfois même excessif, du ténor lui permet d'aborder ce rôle avec aisance, une certaine absence de sensibilité à l'esprit de l'intrigue en fait un personnage sans relief. Pire, sans direction d'acteur, il se montre ridicule avec certaines attitudes et gestes plus appropriés à un théâtre de Feydeau qu'à l'opéra de Bellini.

Quand bien même le personnage d'Overoso, le père de Norma, n'occupe pas une très grande place dans la partition, elle requiert néanmoins une basse avec un registre étendu. Ainsi, avoir fait appel à , peut-être la plus grande basse lyrique actuelle, aurait été un atout gagnant si un certain manque de musicalité (en partie due à un orchestre trop bruyant) ne l'avait contraint à monter le ton au-delà d'un niveau approprié dès les premières mesures de l'opéra. Son « Ite sul colle » initial arrive comme un coup de canon sur un public qui n'en demandait pas tant.

Dans les deux rôles de comprimari, si la soprano (Clotilde) tient bien sa place dans un rôle mineur mais qui demande néanmoins une grande attention, les quelques mots qu'elle chante devant s'insérer avec précision, le ténor (Flavio), à la voix terne, manque d'assise. De son côté le chœur du Bühnen Bern, plus statique que jamais, offre néanmoins une prestation précise et très musicale.

On ne peut malheureusement pas en dire autant du qui nous apparait extrêmement bruyant. Il est vrai que le chef , époux de Sonya Yoncheva, n'a pas montré son plus grand talent dans sa direction d'orchestre. Traitant cette admirable musique sans beaucoup de nuances, passant largement à côté de son caractère dramatique, il entraîne son orchestre dans de fréquentes séquences désolantes de lourdeurs pompiers.

Crédit photographique : © Raphael Faux

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