Au Gstaad Menuhin Festival, Gianandrea Noseda trahi par l'acoustique de la scène ne parvient pas à sublimer d'un bout à l'autre le Requiem de Giuseppe Verdi en dépit d'une distribution vocale de haut vol.
On l'a dit et redit. Le caractère de contrition et d'humilité propre à la messe des morts n'est pas l'apanage du Requiem tel que l'a composé Giuseppe Verdi. Qu'importe. La puissance de cette musique, l'esprit qu'elle contient se situent au-dessus de la liturgie d'un texte dont la portée littéraire est pour beaucoup d'entre nous impénétrable, voire obscure. Malgré son caractère solennel, liturgique, d'essence triste, cette œuvre magistrale a toujours les faveurs du public, qui a répondu en masse à l'invitation.
Quand l'orchestre et le chœur ont pris place, la scène de la Grande Tente est bondée. Faute de place, les trompettes sont dans les coulisses, tout comme les percussions. Jamais peut-être cette scène n'aura contenu autant de musiciens. Sous des applaudissements nourris les quatre solistes font leur entrée suivis de Gianandrea Noseda. Un silence profond enveloppe l'auditoire. Le chef se tourne alors vers la salle pour, en quelques mots, dédier ce concert à la mémoire du compositeur Rodion Chtchedrine qui vient de s'éteindre.
Après quelques instants de recueillement et de concentration, Gianandrea Noseda étend les bras, allonge les mains vers l'orchestre pour l'entame d'un indicible et dense Requiem aeternam. Dès ces toutes premières mesures, on sent le chef italien totalement investi dans sa musique. Quelle solennité, quelle intensité, quelle tension Noseda réussit à imprimer tant à l'orchestre que dans les voix du chœur qui s'élèvent superbement ! À peine s'éteint ce premier chapitre que retentit le Dies irae dans un déferlement sonore terrifiant. La colère gronde comme jamais. On en a le souffle coupé. Noseda est en transe : il éclate, il saute, il lance ses bras doigts écartés vers les cintres, soudain il plie, puis se redresse, vire à droite, pointe rageusement les violoncelles, mime les paroles du chœur, puis reprend son ballet transcendant. Là encore, le souffle nous manque tant l'émotion du moment est intense. Puis des coulisses où elles sont cachées, les trompettes cuivrant admirablement résonnent, avant un tutti brusquement interrompu pour laisser à la voix de la basse Roberto Tagliavini le soin de nous offrir un sensible Tuba mirum. On se souviendra de l'extrême finesse avec laquelle il prononce trois fois son « Mors, mors, mors stupebit… » bouleversant de tristesse, d'effroi et de profondeur lyrique. Lorsque arrive le Liber scriptus, on est surpris par le soudain fléchissement de l'intensité musicale. La mezzo-soprano Elina Garanča, figure de proue de la distribution, semble en retrait. La voix parait éteinte, comme manquant des couleurs qu'on lui connait. Sans qu'on puisse lui reprocher quoi que ce soit, c'est à partir de ce moment particulier que les émotions qui habitaient ce Requiem sont comme envolées. Gianandrea Noseda a beau s'évertuer devant son orchestre, soutenir ses solistes, encourager le chœur, le souffle admirable des premiers instants a inexplicablement disparu.
En parfaits professionnels, chacun donne le meilleur de lui-même. Bien évidemment, c'est à présent avec une certaine frustration qu'on reçoit cette prestation presque routinière alors qu'on sait les capacités de Gianandrea Noseda à sublimer les œuvres qu'il dirige. Reste qu'après cette amère constatation, on assiste quand même à de beaux moments, comme cet Ingemisco très bien chanté par le ténor sarde Piero Pretti. À noter qu'à l'origine le ténor Jonathan Tetelman avait été prévu pour cette soirée ; il a été remplacé par Joseph Calleja qui, malade, a dû déclarer forfait au profit de Piero Pretti qui remplace au pied levé le ténor maltais. Autre belle prestation, celle de la soprano italienne Eleonora Buratto dont l'instrument s'avoue impressionnant de facilité. En particulier dans le « Libera me » conclusif, avec son suraigu, angoisse des sopranos, la chanteuse affirme sa parfaite maitrise vocale, tant du point de vue de la voix pure que de la diction.
Si le chœur de l'Opéra de Zurich s'affirme parfaitement préparé et répondant aux ordres de Gianandrea Noseda, nous sommes en revanche moins convaincus par l'Orchestre de l'Opéra de Zurich. En effet, et peut-être est-ce dû à l'acoustique de la scène, les cordes, en particulier les violons, manquent sensiblement de volume par rapport aux autres pupitres. Une impression confirmée dans le Dies irae où l'on voit les violonistes exécuter leur rapide descente chromatique mais on ne les entend pas.
Nous l'avions noté lors du concert précédent, l'acoustique de la scène de la grande Tente du Gstaad Menuhin Festival est difficile à maîtriser dès lors que de grands ensembles symphoniques l'occupent. Ce qui était notoire pour la Symphonie n° 2 de Rachmaninov s'avère plus évident avec la masse orchestrale et chorale nécessaire au Requiem de Verdi. Peut-être que l'excessif volume sonore qui revient aux oreilles du chef d'orchestre lui impose des changements d'équilibre entre les pupitres qui pourraient être la cause de cette sensation de perte de maitrise émotionnelle qui nous a frappé.
Crédit photographique : © Gstaad Menuhin Festival/Larissa Davidson
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