Après Leipzig, Berlin et Milan, les Prem's de la Philharmonie ont bouclé leur programmation avec l'Orchestre de Paris, qui fait sa rentrée dans la Grande salle Pierre Boulez. L'affiche était résolument tournée vers le continent américain avec des allers-retours entre New York et Paris.
Éclats des cuivres et des peaux avec la Fanfare for the Common Man (1942) d'Aaron Copland qui offre, en début de soirée, un rutilant portique d'entrée qu'il eût été plus judicieux, dans un souci de dramaturgie sonore, d'enchaîner avec l'œuvre suivante. Mais les applaudissements retentissent et l'orchestre s'accorde avant l'arrivée du flûtiste Vincent Lucas (première flûte solo de l'Orchestre de Paris), l'interprète invité des Danses concertantes de Guillaume Connesson. Co-commande de la Philharmonie de Paris, l'œuvre est entendue ce soir en création française ; elle est conçue en sept mouvements alternant systématiquement mouvements vifs et lents dans la tradition de la suite baroque. Aussi l'auditeur n'est-il en rien surpris, la flûte virevoltante et légère, relevée d'une touche de shakers ou autre tambour de basque alternant avec des moments cantonnés dans le médium (Tango macabre) sur le rythme chaloupé de la danse argentine. Assumant une partie relativement virtuose – Ravel surgit à chaque détour mélodique – la flûte manque parfois de projection et de brillance, Vincent Lucas se laissant déborder par un orchestre quelque peu bavard. L'ennui s'installe assez rapidement, d'autant que la fin de chaque court numéro déclenche le flux intarissable des applaudissements, sans aucun signe ou effort du chef pour le retenir.
Les idées fusent, les couleurs et autres signaux (fameux coups de klaxon) alertent l'écoute dans le truculent Un Américain à Paris de George Gershwin, au répertoire de l'Orchestre de Paris depuis quarante ans. C'est l'occasion de faire briller tous les pupitres, du solo goguenard du tuba au trio de saxophones mis en exergue (alto, ténor et baryton) dans un orchestre qui n'accueille que rarement l'instrument de jazz. Le jeu est épatant mais la musique ne décolle pas, la direction de Mäkelä reste en surface, manquant de mordant et d'un brin de folie.
Fort heureusement le meilleur reste à venir…
Fanfare for the Uncomman Woman n°1 (1986) de l'américaine Joan Tower est la réplique féminine de la fanfare de Copland entendue en ouverture. Elle est dédiée « aux femmes audacieuses et qui prennent des risques », débutant la seconde partie de la soirée avec le même panache : musique de l'énergie pure entretenue par les peaux, timbales et grosse caisse sur-vitaminées. Suite au succès de la première, cinq autres fanfares voient le jour dans la foulée, que la Philharmonie de Paris met à l'affiche au fil de la saison 2025-2026.
Un orchestre chauffé à blanc
Opus 1 de son catalogue, Amériques (1918-1920) est à Varèse ce qu'est « Le Sacre » pour Stravinsky, occupant dans la musique du XXᵉ et dans son œuvre elle-même une place singulière et solitaire : bois par cinq, comme chez le Russe, set de percussions pléthorique (12 musiciens sont requis) sélectionnant des timbres rares, crécelle, grelots, Lion's Roar (tambour à cordes) et les deux sirènes pour le continuum sonore que Varèse appelle de ses vœux. La fonction de la percussion est moins de marquer les temps que de colorer l'espace et de pénétrer les masses instrumentales. Elle contribue autant que les autres pupitres aux alliages sonores inouïs, ceux des premières pages notamment conduites par le motif de la flûte alto, incantatoire et répétitif, sur le mouvement obstiné des deux harpes. Entretenant le mystère de cette cérémonie étrange, Mäkelä fait valoir la richesse des textures, la plénitude du timbre à travers le choral des cuivres et la virtuosité d'une écriture qui tient en haleine, ouvrant les vannes du son dans un final ébouriffant où l'Orchestre de Paris chauffé à blanc ressasse son motif et fait monter la tension jusqu'à la transe. Inouïe pour les oreilles de l'époque, Amériques, qui n'a pas pris une ride, était sans nul doute la plus moderne des œuvres de la soirée.
Crédit photographique: © Denis Allard
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