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À Genève, Michael Thalheimer désenchante Tannhäuser

Créer une mise en scène dans un décor imposé est certes une gageure. Dans ce Tannhäuser de Richard Wagner auquel a dû renoncer la metteuse en scène Tatjana Gürbaca pour raisons de santé, ne réussit malheureusement pas à se sublimer dans cette entreprise et offre une vision bien terne d'une œuvre appelant au sens des contraires.

Dans le programme de la soirée, on apprend qu'en février 2015, à Novossibirsk, capitale administrative de la Sibérie avec plus d'un million et demi d'habitants, le ministre en charge de la culture avait limogé le directeur de l'Opéra, pour avoir présenté une version de Tannhäuser de Richard Wagner dont la mise en scène avait soulevé l'indignation de l'Église orthodoxe. En cause, bien évidemment la première scène de l'opéra de Wagner qui appelle à une bacchanale dans la grotte du Venusberg. Là, selon les indications de Richard Wagner, Vénus est étendue sur un canapé richement décoré, alors que naïades et éphèbes dansent en pourchassant des nymphes. On se souvient de la production de Tannhäuser en 2005 à Genève, où Olivier Py avait fait appel à un harder professionnel pour ajouter à la crédibilité érotique des scènes d'orgie. Est-ce la crainte de la censure d'un improbable comité genevois de bonnes mœurs calvinistes qui a totalement occulté les scènes de la bacchanale de cette nouvelle production genevoise ? Comment l'imaginer ? Ces dernières années, le Grand Théâtre de Genève ne s'est jamais privé de scènes scabreuses dans certaines de ses productions. Quelle peur a agité le metteur en scène pour ne rien montrer de la Bacchanale ? Ce n'est pas que le public soit majoritairement voyeuriste mais tout de même. A peine résonnent les premières notes de l'ouverture que le rideau se lève sur l'image de Tannhäuser, pantalon de toile, marcel blanc, le regard perdu sous un rai de lumière nimbé de brouillard venant des cintres. Planté, légèrement chancelant, il reste là pendant une bonne quinzaine de minutes avant de pénétrer dans un grand tonneau d'acier qui se met en mouvement lentement forçant notre héros à en suivre le mouvement comme le ferait un hamster dans son tourniquet. Il est bientôt rejoint par Vénus, vêtue d'une robe scintillante lamée de reflets dorés. Commence alors leur duo marathon dans ce maudit cylindre qui ne cesse de tourner sans qu'on comprenne véritablement le sens de cette démarche scénique. A voir le comportement de ces deux personnages, marchant péniblement dans leur tonneau, ne se regardant qu'à peine, ne se touchant qu'en effleurements discrets, on peine à imaginer la luxure dans laquelle vit Tannhäuser.

Le gris noir d'un décor () fait de d'escaliers, de poutrelles, de cylindres de métal, le manque de recherche des costumes () généralement quelconques et de couleurs pastels sales, le statisme des personnages, le conformisme des mouvements de foule du chœur, désenchante cet opéra de la résurrection et de la repentance pour l'enfouir dans une mise en scène d'une banalité confondante, en dépit d'éclairages () souvent subtils. Bien sûr, restent les maquillages et démaquillages en direct de Tannhäuser en clown (le retour du Parsifal genevois de 2023 ?) et l'orgie d'hémoglobine dont il se verse un plein seau sur la tête qui sont la marque de fabrique de . Dans cet univers d'acier d'une froideur désolante, transposer un récit tiré du grand romantisme allemand du XIIIe siècle, avec ses ménestrels et l'esprit de l'amour courtois s'avère compliqué à réaliser. Notre époque manque des repères de la culture médiévale pour élever le discours des oppositions entre la luxure et la pureté. Sans cela, la démarche de Michael Thalheimer s'éteint par manque de grandeur. Dès lors s'appuyer sur le seul chant des protagonistes de cette production pour apporter le bagage émotionnel nécessaire à la réflexion profonde voulue par Richard Wagner est un leurre.

Certes, le plateau vocal est d'un très bon niveau. Chaque protagoniste remplit son rôle avec vaillance et précision. Cependant, et peut-être que les angoisses de la Première peuvent en être la cause, on aurait aimé de la part de certains plus de retenue, voire de sensibilité dans leur chant. Ainsi lorsque (Tannhäuser) implore le ciel de le prendre en pitié «Zum Heil des Sündigen zu führen, die Gottgesandtenahte mir!» (Pour me conduire vers le salut, la messagère de Dieu est venue vers moi !), on attend à ce qu'il émette un «Erbarm dich heim !» (Prends pitié de moi !) avec plus de conviction sans qu'il se sente obligé de traduire celui-ci par plus de volume sonore. Incontestablement le rôle-titre est vocalement écrasant et le ténor s'en sort avec les honneurs, mais, chantant pratiquement constamment en force, il manque de cette sensibilité qui habite le personnage wagnérien.

Ce n'est pas le cas de la soprano (Elisabeth) dont la présence vocale est impressionnante de vigueur et de beauté. Son air d'entrée du deuxième acte «Dich, teure Halle, grüss ich wieder.» (O salle aimée, je reviens te saluer.) arrive comme un baume de fraîcheur dans cette ambiance vocale jusqu'ici assez terne malgré le volume sonore à son maximum. C'est lorsque Tannhäuser  lui donne la réplique que la différence d'interprétation, d'engagement artistique, confirme ce que nous soulignions plus haut à son égard. Autre rôle d'importance, Vénus () est ici traitée sans grande conviction scénique. Elle apparait plus comme une brunette en compétition amoureuse avec la blonde Elisabeth que comme une entité malfaisante et diabolique, représentante du Mal. La soprano possède une voix d'une belle rondeur, d'une égale puissance sur tout le spectre, avec des aigus d'une grande beauté et le soin qu'elle apporte à l'expression artistique reste remarquable. Et ce n'est pas lui enlever un quelconque compliment sur sa prestation lorsqu'on voit dans quelles positions physiques la mise en scène l'oblige à chanter. A ses côtés, on attendait beaucoup du baryton (Wolfram von Eschenbach) qui, s'il nous dispense de son plus beau legato et de sa ligne de chant admirable, ne réussit pourtant pas à soulever l'enthousiasme dans une prestation honnête mais sans la grandeur d'âme de sa prestation parisienne de 2011. Pas plus que les autres ménestrels, le ténor , la basse , le ténor et la basse dont les prestations restent plus qu'honnêtes quand bien même on les avait coiffés de têtes d'animaux, qui sait Dieu pourquoi ! Décevante en revanche la prestation de la basse (Hermann, Landgraf von Thüringen) dont la voix a perdu de sa prestance, forçant ainsi l'orchestre à modérer son volume sonore pour lui permettre d'être entendu. De plus, l'ampleur de son vibrato devient gênante. Une meilleure préparation vocale aurait certainement profité au talent de la jeune soprano (Ein junger Hirt) pour le rôle de travesti qu'elle incarne avec un charme, pour le coup, trop féminin.

Si musicalement cette production ne réussit pas à enthousiasmer, la responsabilité revient à la direction d'orchestre de dont la discrétion orchestrale de l' est flagrante à plus d'un titre. Les nombreuses imprécisions et les malheureux décalages d'avec le frisent parfois le désastre. Cette production fera néanmoins partie des bagages d', actuel directeur du Grand Théâtre de Genève, qu'il emportera avec lui pour la reprendre dans sa nouvelle maison du Deutsche Oper Berlin à compter de la saison prochaine.

Crédit photographique : GTG © Carole Parodi

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