Le Festival baroque de Pontoise fait une place à un récital de musiques du XVIIe siècle, où le plaisir de retrouver Lucile Richardot le dispute à celui de découvrir une proposition originale.
Anne de La Barre (1628-1688), fille de l'organiste de Louis XIII Pierre Chabanceau de La Barre, fut une des rares chanteuses du XVIIe siècle à acquérir une renommée de dimension européenne. Invitée par la reine Christine de Suède en 1647, elle ne s'y rend, entourée de sa famille dont son frère Joseph également compositeur, que cinq ans plus tard, après être passée par La Haye à l'invitation de Constantijn Huygens, diplomate, père du célèbre mathématicien et également compositeur. De retour en France après l'abdication de la reine Christine en 1654 et après des séjours au Danemark et en Allemagne, elle fut la première femme à obtenir le brevet de musicienne de la Chambre du roi, en 1661, et chanta pour les grands compositeurs de son temps. Naturellement formée à chanter en latin et en français, elle excellait aussi dans les compositions italiennes qui se répandaient alors sur le continent.
Pour retracer ce parcours hors du commun, Marco Horvat a eu l'excellente idée d'entrecouper les pièces musicales de textes de contemporains, mémorialistes comme Tallemant Des Réaux et Jean Loret, mais aussi des lettres des principaux intéressés, dont Anne de La Barre elle-même, et utilise comme liant un article du musicologue Lisandro Abadie qui fait l'état des connaissances sur la cantatrice. Le directeur de l'ensemble en dit lui-même, en prononciation restituée quand ils sont d'époque, debout et théorbe en main. D'autres sont prononcés par Lucile Richardot, qu'elle incarne la cantatrice ou d'autres personnages ; il lui arrive aussi de commenter l'œuvre qu'elle va chanter.
Lucile Richardot n'est pas Anne de La Barre. Lucile Richardot est bien elle-même, prêtant sa voix, sa personnalité fantasque et pleine d'humour, à une plongée dans le répertoire de l'illustre chanteuse. Sa diction, ses mimiques, sa présence sont bien celles que l'on connaît, et c'est tant mieux. Et sa voix est toujours aussi sublime, bien campée dans un registre de mezzo qui est celui des œuvres choisies, mais qui correspond aussi à une orientation moins portée sur le grave, telle qu'elle nous le confiait dans un entretien récent en marge du festival de Salzbourg. C'est un plaisir sans cesse renouvelé d'entendre et voir Lucile Richardot exprimer toutes sortes d'affects et nous toucher au cœur, et ce aussi bien dans des airs relativement connus comme ceux des ballets de Lully, que dans des raretés où notre oreille est vierge, comme la remarquable cantate sur la mort du roi de Suède Gustave Adolphe de Luigi Rossi, un morceau de bravoure où alternent les sentiments les plus contrastés, grande douleur, révolte, fureur… Ou dans cet Adieu à la cour de Savoie de Charles Dassoucy, où Lucile Richardot restitue un texte très emphatique avec une légère distance qui fait sens (après tout il ne s'agit pas ici de pleurer sur la mort d'un roi héroïque). Dans un autre registre, on apprécie aussi beaucoup la finesse de l'intonation, la virtuosité des ornements et la plénitude sonore dans un extrait d'une Leçon de ténèbres de Michel Lambert.
L'ensemble Faenza, avec clavecin/orgue, harpe, viole, théorbe et deux violons, accompagne efficacement et avec une grande cohésion. Il est mis en valeur dans un seul morceau purement instrumental, une Sinfonia d'Alessandro Stradella où les deux violons d'Alice Julien-Laferrière et d'Anaëlle Blanc-Verdin font merveille. Ce spectacle, créé à Versailles en 2019 et auquel on peut souhaiter un bel avenir, précédé ce soir par un Benedictus de François Couperin donné à l'orgue de tribune par une élève du CRR de Cergy, Laure Hainaux, dure environ une heure et demi : cela semble assurément court !