Double déclaration d'amour que publie Harmonia Mundi avec The Viola in my life : celle de Morton Feldman à l'altiste Karen Phillips et celle d'Antoine Tamestit à son instrument.
“Découvrir et s'engouffrer dans de nouveaux paysages pleins d'émotions et de textures”: Antoine Tamestit a suivi ce paternel conseil qui, après avoir récemment foulé de la plus magnifique façon à Lyon les sentiers italiens de Berlioz, entraîne dans la foulée son auditeur sur les sentiers américains de Feldman. “Je n'ai pas choisi l'alto pour son répertoire mais pour sa sonorité” confesse l'altiste français. Harold en Italie, la symphonie avec solo d'alto de Berlioz, est le phare dans la nuit d'un répertoire effectivement bien chiche. A 180° de cet immarcescible chef-d'œuvre de 1834, The Viola in my life, le cycle, lui aussi en quatre parties, que Morton Feldman composa de 1970 à 1971 sous le coup de la passion amoureuse avec l'altiste Karen Phillips, est loin de connaître la même popularité.
“Toute une vie dans une seule note”. Tamestit définit parfaitement le projet de Morton Feldman. Les quatre pièces de The Viola in my life avec lesquelles le compositeur américain, déjà affranchi de l'harmonie comme du sérialisme, va jusqu'à s'affranchir de ses propres principes d'”indétermination” professés dans les années 50, et salués par John Cage. Tempo unique, dynamique étale, ascèse immobile… caractérisent un dialogue entre sons et silences. Comparée à la radicalité de Morton Feldman (Samuel Beckett écrivit en 1977 le livret de Neither, son unique opéra), celle, déjà ovniesque, du Philip Glass première manière (audacieuses années 70…) apparaît rétrospectivement autrement fédératrice. En accord parfait avec les aplats de Mark Rothko ou les abstractions de Jackson Pollock, Morton Feldman tisse avec The Viola in my life un véritable éloge du silence.
Sur ce disque à la prise de son d'une adéquate intériorité, l'alto recueilli d'Antoine Tamestit offre en partage la singularité de cette musique étale et peut-être plus encore la fascination de l'altiste pour un instrument qu'il décrit passionnément comme l'expression de son “monde intérieur”, et même “sa vie”. Que cet artiste rare soit accompagné par (ou accompagne) un violon, un violoncelle, une flûte, un piano, des percussions sur le premier mouvement du cycle, ou un violon, un violoncelle, une flûte, une clarinette, un célesta, de percussions sur le deuxième, ou encore du seul piano sur le troisième, et enfin d'une formation symphonique sollicitée en formation chambriste (l'Orchestre du Gürzenich de Cologne, dirigé avec sa précision coutumière par François-Xavier Roth) sur le quatrième, le voyage immobile de Feldman finit quarante minutes plus tard comme il a commencé, sans éclat majeur.
Un voyage intérieur qui fera les délices des férus d'art contemporain, comme des contempteurs de la vitesse et du fracas de l'époque.