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Avec La Khovanchtchina, la Vieille Russie prend la Bastille

Opéra rare en France, alors même qu'il s'agit assurément du chef-d'œuvre de Moussorgski, en dépit de Boris Godounov, La Khovanstchina fait enfin son entrée au répertoire de l'Opéra Bastille.

Cet ouvrage n'avait pas été représenté à Paris depuis 1984, année où il avait été monté dans une splendide production de au Théâtre du Châtelet, qui en avait donné la création française en 1913 dans une réalisation hybride cosignée Maurice Ravel et Igor Stravinsky faite à la demande de Serge de Diaghilev. L'Opéra de Paris ne devait donner l'ouvrage que dix ans plus tard, en français et dans l'orchestration de Rimski-Korsakov aujourd'hui rejetée par les puristes, d'autant plus qu'elle ampute l'œuvre de plus d'un quart de sa durée. Comme au Châtelet voilà déjà plus de dix-sept ans, l'Opéra de Paris a opté cette fois pour la version élaborée par Dimitri Chostakovitch en 1959, version qui fait aujourd'hui autorité, malgré de forts relents spécifiques à ce dernier compositeur.

Plus encore que Boris Godounov, La Khovanstchina peut être considéré comme l'œuvre emblématique de la Russie éternelle, avec ses impressionnantes masses chorales, foule anonyme, fidèles, soldatesque, gens du peuple russe qui sont les véritables héros de cette immense fresque de plus de trois heures que son autreur laissa inachevée. Malgré des décalages qui s'amenuiseront au fil du temps, le chœur de l'Opéra de Paris se distingue particulièrement par une rondeur du son, une ardeur et une précision proprement envoûtantes. L'ensemble choral parisien n'a rien à envier à une distribution de solistes pourtant exclusivement russe, à l'exception notable de Robert Brubaker. Quatorze chanteurs aux timbres impressionnants et au jeu assez crédible, quoiqu'ils ne puissent tous se débarrasser d'une gestique empesée venant d'une tradition du théâtre lyrique d'un autre âge. campe avec vérité la perfidie autodestructrice du prince Andrei Khovansky, Valeri Alexeev un Chakloviti judicieusement falot, Konstantine Ploujnikov un clerc dans la tradition burlesque et sachant, en vieux routier, masquer ses défaillances en les accentuant. Robert Brubaker est un Golitsine plein de morgue, un prince Khovansky de noble stature. Mais c'est assurément le Dosifei d' qui domine la soirée de sa haute stature physique et vocale. Côté femmes, la Marfa de au timbre abyssal, est poignante, mais Tatiana Pavlovskaya déçoit en jeune dinde criarde, et Irina Rubtsova s'avère une Suzanna par trop acariâtre.

Mais ces relatives déceptions ne dénaturent en rien l'ensemble, et tous les protagonistes se meuvent dans un espace fortement architecturé, délimité par des décors froidement hiératiques mais enluminés par des costumes XVIIe siècle, époque de l'action, qui instillent une chaleur formant un contraste saisissant pour ceux qui se souviennent des sombres à plat de la production de Pizzi qui semble avec le recul du temps avoir été plus conforme à l'atmosphère de l'ouvrage. La mise en scène d'Andrei Serban traite avec sobriété un peu rigide les multiples péripéties d'une histoire assez complexe qui se déroule pour l'essentiel à l'ombre de l'enceinte menaçante du Kremlin, et se conclut dans une aussi glaciale forêt de bouleaux qui s'évapore lors de l'autodafé des Vieux Croyants déclenché par une sorte de feu follet assez grotesque dans un tel contexte. Mais la force du spectacle repose pour l'essentiel sur la musique elle-même, d'autant que côté fosse, abstraction faite de quelques décalages avec le plateau, brosse une lecture limpide de la partition, soulignant néanmoins à l'excès les harmonies propres à l'orchestrateur Chostakovitch, l'Orchestre de l'opéra suivant dextrement les inflexions du chef qui dirige avec une conviction contagieuse.

Photographie :

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