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Les Noces de Figaro, ou la Double Inconsistance

Pauvre Wolfgang ! Victime d'une nouvelle production pâlotte, avec un Figaro falot, et una piccola Susannettina… Non qu'il faille déplorer de fautes de goût rédhibitoires.

Mais, de là à transformer cette amère comédie humaine en un divertissement léger de boudoir, une farce kitsch outrageusement poudrée ; il y a un pas : il a failli être franchi à plusieurs reprises. Du Mozart très sage, privé d'équivoque – aseptisé ; c'est un magnifique concert costumé (encore que…) qui nous est offert. On en regretterait presque la vision iconoclaste de ce trublion de deperruquant son Salzbourgeois ! Ici : simple mise en place creuse, superficielle et terriblement prévisible ; trahissant le mouvement perpétuel de ces multiples chausse-trappes – portes dérobées, sorties secrètes –, qui constituent le suc même de ce faux opéra-bouffe. Il s'agit d'un réel dramma giocoso, qui sonne le glas de deux couples… malgré la désinvolture de façade et la gaieté enjouée du Finale.

Mozart, léger ? Surtout pas. Où sont ici la solitude infinie de ces êtres en mal d'amour, la gravité ; la profondeur de ces écorchures de l'âme ? Le désespoir absolu, la violence de l'indifférence – qui ourlent la partition d'un compositeur vivant ses dix dernières années ? Où sont (Dove sono), également, le thème de la sexualité naissante, de la sensualité adolescente ; et cette montée de sève qu'évoque le fougueux Chérubin lorsqu'il « se parle d'amour à lui-même » ??? Ces données – essentielles – brillent par leur absence… Il eût fallu que Kubrik, en droite ligne de Barry Lyndon, se lançât dans la mise en scène opératique, et s'emparât des Noces ! Et l'on aurait sans nul doute possible obtenu une lecture au laser, provocatrice, diabolique – voire sulfureuse, de cet opéra si difficile à appréhender dans son essence.

L'on ne peut s'empêcher d'imaginer une gigantesque serre de verdure, à l'intérieur d'une sorte de tortueux labyrinthe en verre ; emprisonnant comme de fragiles papillons, en une claustration suffocante, les victimes de cette fausse journée – prélude, ou crépuscule, de l'Amour. Parallèlement à ce conservatisme de mauvais aloi (une conception musicale d'un autre âge), les voix ne sont pas toutes, hélas, au rendez-vous de la journée des dupes ! Susanne () est une « soubrettissima », dont l'instrument est visiblement rebelle aux lois du chant mozartien. Figaro () – un valet monolithique à l'émission rugueuse et fixe ; et au timbre proche de l'engorgement. Aux côtés du couple ancillaire, la Comtesse : Pamela Armstrong alterne beaux moments, et d'autres certes moins bons.

Le « Porgi amor » est distillé comme un authentique lied schubertien, mâtiné d'inflexions… alla Élisabeth de Valois, lorsqu'elle invoque en quelque sorte le charme des jours passés ! Idem du « Dove Sono » : lorsqu'elle était Rosine, et que le devoir conjugal n'en était pas encore un. La cantatrice relie ici directement son aria à son admirable Maréchale, qu'elle incarna in loco voici quelques saisons. D'ailleurs, Les Noces ne préfigurent-elles pas le futur Chevalier à la Rose, créé quelque cent vingt-cinq années plus tard ? Cependant, quelques déchirures dans l'aigu éraflent souvent la ligne de chant – en sus d'un bas médium sourd ; désincarné.

Que retenir alors ? La performance de  ; lequel, après son génial et névrotique Hamlet, se mesure au redoutable Comte. Il en dessine un être fragile et arrogant, presque un Golaud pathétique : pitoyable dans ses excès atrabilaires, dépassé par la situation – comme s'il pressentait la chute prochaine de la Maison Almaviva. Timbre marmoréen, agressif (au bon sens du terme) pour un magistral « Hai già vinta la cosa », accueilli par un déluge d'applaudissements. Audit applaudimètre, la palme revient également au Chérubin ardent de , plus prompt à dégrafer le corsage des donzelles qu'à goûter aux joies de la vita militar ! Son jeu spontané la prédestine à chanter un autre Chérubin : celui de Massenet.

A ne pas oublier, l'accorte Barberine dans cette cavatine d'une beauté translucide : « L'ho perduta, me meschina » – l'un des sommets de ce Monument. Curieusement – une fois n'est pas coutume –, après Peter Grimes, dans quoi ils furent éclatants, et d'une efficience rare ; les chœurs semblent éteints, peu concernés, avec des attaques imprécises et cotonneuses. En revanche, la direction d'une immense ductilité de obtient de la phalange toulousaine des sonorités veloutées (soyeux languide des cordes), qui s'enroulent amoureusement autour du tissu instrumental.

L'on entend alors un subtil opera da camera, avec une Ouverture d'une douceur angélique – pour mieux masquer le tragique qui hantera tout le quatrième acte ? Seul péché véniel : les coupures de l'aria de Basile « In quegl'anni », ainsi que des stances féministes de Marcelline. Un ultime désir ! L'on aimerait qu'un théâtre nous offre le dernier opus de la trilogie de Beaumarchais : La Mère Coupable de Darius Milhaud ; ou bien la suite virtuelle imaginée par Giselher Klebe : Figaro divorce.

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