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Il pleure dans les cœurs comme il neige sur la ville…

Robert Cantarella, le metteur en scène, homme de théâtre avant tout (c'est là sa première mise en scène d'opéra), résume ainsi l'histoire : « Werther voit Charlotte. Il tombe en amour et en meurt. »

Selon lui, le chant distille ici « un acide inquiétant qui dissout les espoirs d'une autre vie, d'un amour fou. » Si bien que , dit-il encore, cet opéra « verse dans la catégorie des œuvres entêtantes et fondamentales en décrivant l'état de l'homme pris d'amour à mort. » Et il précise sa démarche : » Je suivrai cette terrible simplicité en cherchant un monde des désirs enfantins et de jouets où les pistolets tirent des balles d'acier. »

Pour illustrer son point de vue, R. Cantarella a choisi le décor unique, modulable au fil des quatre actes, par projection d'images sur deux grands panneaux servant de base. A gauche, la maison du bailli (façade avec porte et terrasse) ; au fond et à droite, la nature (forêt ou campagne). Aux actes III et IV, la terrasse devient astucieusement chambre et des meubles ajoutés, au premier plan, figureront le salon : bureau, canapé, clavecin… L'ennui (qui engendre notre relative déception), c'est que si « ce monde des désirs enfantins » est parfaitement évoqué (les cadeaux de Noël au pied du sapin, la houppelande de père Noël sur le dos de Sophie…), le choix des moyens ne semble pas toujours du meilleur goût ; ainsi ce kitschissime sapin de Noël en matière synthétique, avec sa guirlande électrique clignotante…( On ne peut s'empêcher de songer à cette publicité, d'il y a un an ou deux : « remplacez donc vos guirlandes, souvent défaillantes, par des Werther's Original ! » De même, dans ce drame éminemment romantique, ne sont pas perçus comme adéquats certains éléments de décor, tels que la façade de la maison du bailli – dépourvue du feuillage demandé – et qui, plutôt qu'une maison bourgeoise de Wetzlar, évoque davantage quelque école de village à classe unique des années 50. Enfin, les costumes, hétéroclites, ne servent pas non plus au mieux la personnalité et la psychologie des personnages. Werther, dans son costume de velours – couleur brique – et chemise ouverte dans les tons framboise écrasée, semble sorti tout droit du cinéma néoréaliste italien d'après guerre, et dans sa mise, manque singulièrement de grandeur tragique. En revanche, certains détails se révèlent d'heureuses trouvailles ; telle la petite ville stylisée – en modèle réduit – sur laquelle il neige sous un ciel nocturne, durant le prélude d'entrée, et qui met dès l'abord dans l'esprit du spectateur le fait que c'est bien là, et dans ce temps-là, que tout va se jouer… Fort heureusement aussi, la direction d ‘« acteurs » est une parfaite réussite, et la distribution vocale, plus que satisfaisante.

, avec toutefois la tentation, fugace, d'accents verdiens, nous régale des « tubes » attendus : « O nature pleine de grâce », « mais comme après l'orage » ou « pourquoi me réveiller… », irréprochable de diction et lumineux de timbre. La Charlotte de se montre particulièrement bouleversante aux actes III et IV : timbre chaud de mezzo, sensible et terriblement » humaine ». Son air des larmes (la relecture des lettres de Werther) de l'acte III, notamment, est des plus émouvants. Et pour contrebalancer ces débordements de passion, Maud Ryaux, toute de juvénile insouciance, est la Sophie qui convient. Son « gai soleil » est un moment de grâce…ensoleillé. L'Albert de laisse entendre qu'il est bien autre chose qu'un faire-valoir du rôle-titre. Baryton à l'ampleur vocale éloquente et convaincant de style, il confère au personnage une « présence » et une « épaisseur » indéniables. Quant au bailli de , voix opulente au timbre chaleureux et généreux, il présente toute la bonhomie enjouée que requiert le rôle.

Quand nous aurons dit tout le bien qu'on pense du « vivat Bacchus ! », quasi rabelaisien, de Johann et Schmidt (Adrian Arcaro et Christophe Hudeley), ainsi que de la belle – et convaincante – prestation des enfants, espiègles, plein de vie et…de couleurs, il reste à féliciter l'orchestre du Duo/Dijon et son directeur musical, , qui auront, superbement, servi la partition de Massenet. Un soin particulier aura été apporté aux nuances, au contraste de dynamique, à la poétisation du célèbre « Clair de Lune », comme à la dramatisation du prélude symphonique de l'acte IV… L'accompagnement des chanteurs a, par ailleurs, bénéficié d'une direction exemplaire d'attention et d'intention valorisante.

S'il est un tableau qui aura pu s'incruster en notre mémoire, c'est bien le dernier, quand Werther expire dans les bras de Charlotte, tandis que retentissent, tout proches, les joyeux chants de Noël des enfants, et que tombe la neige, en cette nuit de Noël, sur la petite ville en fête.

Nous reviennent alors à l'esprit, comme un écho lointain, les vers émouvants de Luc Bérimont, chantés par Léo Ferré : « L'heure de minuit, cette heure où l'on chante / Piquera mon cœur bien mieux que le houx… »

Crédits photographiques : © Stéphane Kerrad

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