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…pour un Schubert envoûtant

Musiques en Voûtes Xe Edition

« Musiques en Voûtes » fête, cette année, ses dix ans d'existence. Manifestation itinérante sur les quatre départements bourguignons et lancée en 1994 à l'initiative du , elle met en parallèle, dans une belle adéquation, le patrimoine (églises, abbayes) essentiellement roman de la Bourgogne, et des musiques autour du quatuor à cordes. La remarquable qualité des interprètes ajoutée à la volonté avouée de sensibilisation à ce patrimoine ont su gagner les faveurs d'un public, chaque année plus nombreux, fervent et conquis, tant par le charme des lieux que par les programmes proposés.

La série de concerts prévue cette année, dans ce cadre, s'étale du 28 août au 26 septembre ; et le thème principal choisi étant, pour cette saison-anniversaire, celui des grands quintettes du répertoire, les « Manfred » ont invité, selon le cas, un partenaire – de choix – (et quel !). Ainsi, (pour l'un des quintettes avec piano de Dvorák), (pour le quintette à deux altos de Bruckner), et, quant au concert qui fait l'objet de ce compte-rendu, , pour le quintette à deux violoncelles de Schubert.

En première partie du programme, les « Manfred » proposent (en première audition « française ») une pièce pour quatuor à cordes de  : BWV 1007, créée en Allemagne (quatuor Pelligrini) en 2000, à l'occasion du deux cent cinquantenaire de la mort de J.S. Bach, et dont le sous-titre fait référence à la première des six Suites pour violoncelle seul du cantor. Le compositeur (non présent) explique que, indépendamment du contexte circonstanciel de la création de l'œuvre, celle-ci « témoigne d'une préoccupation récurrente » chez lui « à savoir l'établissement de liens entre son propre travail et le répertoire du passé. » Il précise en outre que « le discours musical est ici relativement continu, le mouvement ne provenant pas de la juxtaposition d'idées contrastantes, mais du contrepoint. » ce sont cependant bien ces « idées contrastantes » (parmi lesquelles il serait vain de chercher à reconnaître tel thème de la Suite de Bach) qui « accrochent » l'auditeur, de même que, dans la dernière section de la pièce, ce thème particulièrement véloce du violoncelle, qui le remet en contact plus concrètement avec le « modèle » original. Et cela, avec un large éventail des techniques de jeu : notes tenues (simples ou doubles cordes), trilles, trémolos et pizzicati, le tout au service d'une grande richesse et variété harmoniques, doublées d'un savant contrepoint exigeant des musiciens – et des cordes ! – une tension extraordinaire. Et c'est sans doute, pour une large part, ce qui explique le succès de la musique contemporaine en concert : la perception, par le public, d'une performance quasi sportive ( !) de la part des interprètes…

Le modèle (soit la première des six Suites pour cello solo de J.S. Bach), c'est qui nous la joue. Successeur de dans le quatuor Ysaÿe (depuis deux ans) et auréolé de bien des succès, tant en France qu'à l'étranger (aux Etats-Unis, en particulier), F. Salque, jouant un violoncelle d'un anonyme italien du début XVIIIe, instrument d'une fort belle facture et superbe de sonorité, fait montre d'une souveraine maîtrise dans l'exécution de cette pièce, certes archi- connue (le prélude d'entrée !), mais que le jeu du musicien, inspiré, inventif (accentuations rythmiques, sobriété « ornementale », choix de phrasé) renouvelle de belle façon. , engagé actuellement dans bien des directions, ou prudent (laisse-t-il « mûrir » ?) n'a pas encore gravé « Sa » version de l'intégrale de ces Suites. Mais comme il semble impensable qu'il ne le fasse pas un jour, gageons que ce jour-là, ce ne sera pas une quelconque version-de-plus…

C'est à ce chef-d'œuvre absolu qu'est le quintette en ut de (n'en déplaise aux dédaigneux), à ce fleuron de la musique de chambre pour cordes, qu'est réservée la seconde partie du concert. F. Salque tient la partie de premier violoncelle ; et dès le long accord initial en crescendo/decrescendo, on sait que l'on va vivre un grand moment de musique. On a déjà dit, en d'autres circonstances, tout le bien qu'on peut penser du , également à l'aise dans tous les répertoires abordés : « classique », romantique ou contemporain, tant par la maîtrise technique que dans la finesse de jeu et leur approche toujours profondément « fouillée » de chaque partition. Leur partenariat d'un jour avec un musicien tel que F. Salque, qui manifeste de semblables qualités, ajoutées aux siennes propres, ne peut déboucher que sur l'excellence. De fait, l'entente est parfaite et, ce faisant, l'auditoire retient son souffle et nul ne peut demeurer insensible au prégnant doloroso et au dramatisme qui se dégagent de l'admirable Adagio et du Scherzo avec son trio contrasté qui vous étreint d'émotion (la mort acceptée comme délivrance ?). Nous ne serons cependant pas dupes de cette atmosphère typiquement viennoise de l'Allegretto final (magistralement rendue par nos cinq musiciens) : misères et soucis, dans un décor de taverne, seraient-ils ainsi noyés dans quelques verres de Tokay de Hongrie ou chopes de bière ? On sait gré à notre cher Franz de cette politesse du désespoir, mais ce « sourire » n'en est que plus émouvant.

Si le quintette s'achève dans une liesse quelque peu artificielle et par des accords, somme toute, « ordinaires », le public réserve un triomphe à cette œuvre tout à fait extraordinaire, jouée ce jour par des artistes qui ne le sont pas moins.

Pour les prochains concerts de « Musiques en Voûtes », consulter le lien suivant :

Crédit photographique : J. Cl. Horiot

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