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Huitième de Mahler par Chung, l’Ineffable ici devient acte

Festival de Saint-Denis

L'affaire s'annonçait risquée : quand on programme une intégrale Mahler, il faut bien « caser » quelque part la symphonie n°8, appartenant au genre « mastodonte symphonique » avec son orchestre pléthorique (auquel se rajoute un piano, un célesta, une mandoline et un orgue), son chœur d'enfants, son double chœur mixte et ses huit solistes. Mais où le faire à Paris? Aucune salle ne peut engloutir un tel effectif. Il y a quelques saisons l'Orchestre de Paris, dans un cycle Mahler, avait projeté de monter cette œuvre au Palais Omnisports de Paris-Bercy. Projet resté sans suites… Seuls quelques vastes lieux de culte peuvent se permettre de pouvoir réunir autant de monde et de laisser suffisamment de place au public. La Basilique de Saint-Denis, lieu névralgique du festival du même nom, semblait toute désignée.

Mais avait prévu sa gigantesque symphonie pour une vraie salle de concert, pas un vaisseau ou le son s'éparpille. Tous les passages contrapuntiques et les entrées fuguées du premier mouvement (Veni Creator) sont noyés dans cette immense chambre d'écho, qui malgré tout ne masque pas les décalages. Il faut dire que le parti pris de d'alanguir considérablement le tempo lors des passages dévolus aux solistes n'arrange rien. Le son se perd tellement que toute notion de pulsation disparaît, le public n'ayant droit qu'à un maelstrom sonore certes très joli, mais dénué de tout sens. Toute la finesse polyphonique de cette première partie est balayée, et seuls ressortent les grands tutti assourdissants qui jalonnent la partition, tutti admirablement conduits par le chef d'orchestre, qui ne se laisse jamais dépasser par cette masse.

Le deuxième mouvement (tiré de la scène finale du Second Faust de Gœthe) par son aspect plus décousu, plus dramatique, convient mieux au lieu. Les artistes – eux non ne sont pas épargnés par l'acoustique – semblent plus à l'aise et peuvent déployer leurs moyens avec plus d'aisance. Le chœur de Radio-France était augmenté du célèbre Wiener Singverein, chœur préféré d'Herbert von Karajan qu'il a propulsé au devant de la scène internationale.

L'écho « naturel » de la Basilique des rois de France ne faisant que mieux se fondre les voix entre elles, cette vaste masse chorale n'en apparut que plus homogène, surtout les parties de basse souvent sollicitées dans l'extrême grave de leur registre. A coté la Maîtrise de Radio-France, bien que toujours excellente, paraissait maigrelette, d'autant plus que l'écriture la confine souvent dans un registre plutôt bas qui ne la met pas toujours en valeur.

Le plateau de solistes n'appelait que des éloges. Des aiguës filés des trois sopranos – dont une, , perchée dans la tribune d'orgue, aux graves abyssaux de (Mulier Samaritana) ou (Pater Profundus) en passant par la perfection de la ligne de chant de (Pater Ecstaticus) et (Maria Aegyptiaca), tout semblait être accordé à la perfection. Seul faisait ce qu'il pouvait avec professionnalisme dans le rôle du Doctor Marianus, le solo le plus long et le plus éprouvant de toute la partition. Quant à l'orchestre… on ne peut rien lui reprocher. Cette symphonie est tout, sauf lourde ou empesée. L'orchestration de Mahler se fait moins parcellaire, plus brillante, fine et recherchée que dans ses autres partitions tardives. Mais quelles que fussent les qualités des artistes ce soir, le public n'a pu goûter à toutes ses subtilités. Espérons que la retransmission à la radio de la représentation du lendemain (vendredi 10 juin) et les concerts suivants de cette production à Vienne et Budapest souffriront moins de cette acoustique dévastatrice.

Credit photographique : © DR

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