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Falstaff, commedia dell’arte shakespearo-rabelaisienne

On dit souvent de Falstaff qu'il représente le testament musical de Verdi. Même si, au vu du calendrier, c'est quelque peu oublier les Quatro pezzi sacri (1898), on peut en effet y voir une sorte de profession de foi philosophique d'un Verdi octogénaire, gardant le sourire et…toujours vert.

C'est là, estime le metteur en scène , « une belle manière de quitter la scène en nous disant dans le sous-titre : le monde est une farce. » Et dans une « note d'intention », il explique que, s'inspirant du théâtre élisabéthain, il y aura cependant « réuni sur le plateau tous les personnages des opéras de Verdi, déguisés dans un carnaval burlesque, une sorte de chahut d'enfants retrouvant de vieux costumes, un grotesque, un irrespect, une folie, une liberté de ton…un bric-à-brac de souvenirs un jour de carnaval ! » Sans doute serait-il vain et fastidieux de se livrer au petit jeu du « devinez qui est qui », mais la galerie de personnages est bien là, foisonnante, haute en couleurs, véritable commedia dell'arte, dans une mise en scène dispensant drôlerie et féerie, et respectant les trois lieux traditionnels de l'intrigue : l'hostellerie de la Jarretière, la maison de Ford avec son jardin, et le mystérieux parc de Windsor, la nuit. La scène se rapportant à ce dernier lieu, proche de l'esprit Sommernachtstraum, étant d'ailleurs, visuellement, une des plus réussies ; de même que le tableau final, quasi pictural, évoquant tout aussi bien quelque scène de genre de Brueghel l'Ancien que le Véronèse des Noces de Cana.

Pas de fausse note quant à l'esprit ; la bonne humeur, la truculence règnent : on célèbre le bien boire et le bien manger ; les commères sont moult joyeuses et s'esbaudissent à l'envi et les jeunes amants (Nannette et Fenton) ne se contentent pas de conter fleurette et de se donner ici ou là un baiser : ils conjuguent volontiers le verbe…et ce, bien avant les accordailles finales.

Un détail cependant nous semble mal s'accommoder du contexte de fantaisie débridée dans lequel baigne la pièce ; celui relatif à la disposition (et la configuration) du décor : deux blocs-façades de maison, rigoureusement identiques, de part et d'autre d'un podium-ring central figurant les lieux successifs et aménagé en conséquence. En fait, une géométrie cubique de (trop) parfaite symétrie, symbole d'un classicisme et d'une rigueur allant à l'opposé de l'idée de liberté ou de fantaisie….

Celle-ci sera toutefois bien défendue par le plateau vocal, de fort belle tenue. Et à tout seigneur…rendons d'abord justice à la prestation de dans le rôle-titre. Si l'embonpoint lui fait un peu défaut (mais le costume pallie quelque peu cette relative insuffisance), il ne manque ni de carrure, ni surtout d'» épaisseur ». Sa voix puissante de baryton-basse et son métier de comédien rendant toute crédibilité au personnage, tour à tour bouffon, hâbleur, « hénaurme », pathétique…il est désopilant dans ses Révérences ! et sa détermination à cocufier net, net !

Des rôles féminins, émergent particulièrement les prestations de Brigitte Antonelli (Alice), à l'indéniable présence, d'Anne Barbier et , autres rouées commères, fortes-en-gueule mais de bonne voix chantant, et tout spécialement la Nannette d'Anne-Sophie Domergue, plaisante de jeu et délicieux soprano aux aigus radieux. Du côté masculin, campe un Ford de belle prestance et , en Fenton, au timbre agréable de ténor lyrique, gagnerait cependant à surveiller la stabilité en justesse des tenues dans le médium. Le reste de la distribution s'acquitte très honorablement de ses rôles.

Pas de fausse note non plus du côté de…la fosse. La partition si riche et variée de Falstaff est remarquablement servie par l'orchestre du Duo-Dijon (et un chœur irréprochable), que , fréquent chef invité, prend un visible plaisir à diriger. On pourra toujours, naturellement, discuter à l'infini sur les mérites comparés des versions italiennes et françaises, la préférence des lyricomanes allant presque toujours à l'italienne, mais telle quelle, cette production, si elle ne se donne pas les moyens d'atteindre des sommets (décors !) se hausse cependant, et musicalement parlant, à un très estimable niveau de qualité ; et c'est bien là l'essentiel.

Crédit photographique : © Duo-Dijon

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