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Werther par Thomas Hampson, version baryton de référence

L'influence de Massenet sur le jeune Debussy n'est plus à démontrer. Cette nouvelle version de Werther – l'exacte contemporaine de Pelléas – la rapproche de l'atmosphère sombre et ténébreuse du drame de Maeterlinck. Mais, n'est-ce pas plutôt l'inverse ? 

L'œuvre de Massenet était achevée dès 1887 et refusée aussitôt. Elle fut représenté en 1892 à Vienne, en allemand, par le célèbre ténor wagnérien Ernest Van Dyck. Enfin, le compositeur remit sur le métier son ouvrage pour le baryton Victor Maurel. Ce fut finalement Mattia Battistini qui incarna le rôle du jeune Werther. Les chemins parcourus dans l'élaboration de l'œuvre sont aussi tortueux que la vie du héros gœthéen. On pourra rétorquer que l'opéra a été incarné par d'illustres ténors. C'est vrai et pourtant cela ne devrait pas faire ombrage à la transposition pour baryton qui comporte des atouts majeurs et mérite une approche différente, une écoute nouvelle. Car cette version plus intérieure et plus sobre dans la ligne de chant, n'en demeure pas moins fascinante.

En premier lieu, la version de concert d'un opéra du répertoire est un peu comme un mets raffiné que l'on consommerait froid. campe un Werther fiévreux, introverti, mais surtout passionné. L'intérêt de cette version repose entièrement sur ses épaules, car à chaque phrase prononcée, c'est la mémoire de la ligne de chant du ténor qui se glisse imperceptiblement dans nos oreilles. Il n'est pas facile d'aller à contre-courant, de modifier nos habitudes. Cette nouvelle ligne de chant qui parcourt la partition nous déstabilise tout au long des airs et des duos. On pourra reprocher au baryton américain quelques imperfections dans la prononciation du français, mais cela est vite compensé par une maîtrise absolue et une incarnation fine et subtile du personnage. La voix est belle, magnifique même, assurément plus propice à pénétrer l'univers du lied – nulle référence exclusive ici au Lied d'Ossian – que de s'exprimer de façon péremptoire dans les airs d'opéra. Sobriété mais aussi fragilité, le rôle de Werther de est sans doute à l'antipode de celui d'Athanaël dans l'opéra Thaïs. Deux tempéraments fort différents l'un de l'autre et pour l'artiste deux visions du monde, deux interprétations que nul mélomane qui a des oreilles bien éduquées ne pourra confondre.

Susan Graham donne à Charlotte une interprétation somme toute correcte, soignée vocalement – le timbre est fort agréable, la voix superbe – mais sans réussir à nous émouvoir pleinement. Nos réserves se situent davantage au niveau d'un pathos tout extérieur, d'une sécheresse dans le cœur qu'elle conserve tout au long de ses airs, incluant la fameuse scène des lettres et l'air des larmes qui lui fait suite. Les meilleurs moments sont sans doute le premier duo au premier acte, « Le clair de lune », et la scène finale du quatrième où l'artiste enfin se rappelle son rôle, celui de réchauffer hardiment l'être aimé.

Nous avons pris l'habitude depuis quelques années d'une interprétation des Sophie délurées. semble prendre la même direction et gommer les paroles un peu fades de la jeune sœur. La voix est claire, comme il se doit, mais le personnage ne devient pas excessif par ces rires toujours artificiels ou tapageurs voire irritants. Retenons plutôt la belle métamorphose attendrissante du personnage lors de la rencontre avec Charlotte.

campe un Albert plus humain que solide vocalement. Cela n'empêche pas d'y percevoir à l'occasion, une voix assez bien éduquée mais qui a encore des choses à apprendre. On pourrait lui formuler quelques réserves et se demander quelle interprétation celui-ci aurait pu donner – sur une scène avec décors et costumes – du mari sacrifié sur l'autel de l'amour ! Sans jamais devenir méchant, même lorsqu'il ordonne à Charlotte de remettre les armes au messager, il demeure certes, un personnage inquiet, mais toujours un peu extérieur au drame qui se déroule devant ses yeux.

Tous les autres rôles sont bien tenus. en Schmidt et Laurent Alvaro en Johann forment d'excellents comparses. Les enfants sont malheureusement chantés par des sopranos au lieu d'être tenu par un vrai chœur d'enfants. Distribution idéale, malgré quelques coupures, très légères, empressons-nous de le dire.

À l'orchestre, , l'âme véritable de cette soirée, tient les forces du Capitole de Toulouse avec l'aplomb qu'on lui connaît. Car c'est sans doute lui qui a tant travaillé à rendre cet orchestre si connu et respecté parmi les grands ensembles à travers le monde, et surtout à redonner un certain lustre à l'opéra français. Une version plus qu'intéressante, la référence d'un Werther version baryton, avec des artistes passionnants.

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