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Grâce et légèreté pour Così fan tutte

Au lendemain du médiocre Don Giovanni du tandem Kusej-Harding, ce Così fan Tutte fait figure de baume au cœur, avec une mise en scène, une direction musicale et une distribution évoluant à un niveau infiniment meilleur.

On connaît bien l'optique générale et l'habituelle qualité des mises en scène de Karl-Ernst et  : des spectacles minutieux, poétiques et élégants, à l'esthétique un peu distante, mais toujours respectueux des œuvres, et produisant des images subtiles et raffinées. Le Così de ce soir, production créée il y a deux ans, est de cette veine : une très belle mise en scène, reposante et stylisée, dont les personnages évoluent dans un cadre de luxe, de calme et de volupté. Pour atténuer la vastitude du plateau du Festspielhaus, ils ont la bonne idée d'utiliser un tout petit proscenium, de quelques mètres carrés, placé en face du chef, qui donne une heureuse et inattendue impression d'intimité sur cette scène pourtant immense. Ils transforment également le plateau, avec quelques fines baguettes, en un parc dont les amants parcourent les allées durant leur promenade du second acte. C'est beau, c'est léger, et la scène, très dépouillée, ne semble pas nue, grâce à quelques accessoires, un paravent, un rocher, judicieusement placés, et à des beaux jeux de lumières. La seule innovation apparente est que les jeunes filles sont au courant dès le départ du travestissement des fiancés. Bizarrement, on oublie très vite cette entorse au livret, car les (ré)actions des deux sœurs sont tout à fait les mêmes que si elles ne savaient rien, et leurs gestes n'en sont pas moins sincères. On reste en revanche dans l'indécision en ce qui concerne les couples à la fin, chacun des personnages restant très éloigné de sa moitié présumée.

En tête d'affiche, , qui chante son rôle à Londres, Dresde, Toulouse, Vienne… Sa voix chaude et longue, les couleurs fortes de son timbre, la sensualité de ses graves, en font une Dorabella inoubliable, fidèle en tout point à sa haute réputation. On retrouve avec beaucoup de plaisir , lui aussi interprète de référence de son rôle (notamment à la Monnaie), et qui est encore une fois impeccable en Guglielmo, dont il possède la voix rêvée. Faisant ses débuts au Festival, est une bonne Fiordiligi, au tempérament affirmé, à la voix fine, légère et argentée, mais assez passe-partout, et à l'italien très guttural. Elle fait de belles choses dans le «Per pieta», joliment phrasé et très émouvant, mais dans «Come scoglio», pris trop au premier degré, elle évacue complètement le caractère parodique de l'air, qui pastiche les grandes scènes héroïques de l'opera seria. Rien de vraiment condamnable, mais ce n'est pas pour cette Fiordiligi qu'on retiendra cette soirée. est un mozartien expérimenté, qui chante Ferrando depuis la saison dernière, ayant fait ses débuts dans la production de Patrice Chéreau. La voix est un peu nasale, et manque de caractère, l'italien est contraint, mais il fait preuve de musicalité et de souplesse, et la projection, sans être impressionnante, est très suffisante. Son meilleur moment est incontestablement «Un aura amorosa», qu'il phrase à ravir, et qu'il allège magnifiquement. Il est bien dommage qu'on l'ait fait asseoir sur un gradin en front de scène, qui glisse sur toute la longueur du plateau pendant qu'il chante. Ce déplacement est non seulement inutile, mais en plus, la machine grince ! Après Don Giovanni la veille, c'est la seconde fois en deux jours qu'on est gêné par ce genre de détails des plus triviaux.

A côté de ces quatre chanteurs assez jeunes, deux vétérans, qui ont assuré toutes les représentations de cette production au depuis la première en 2004. est une Despina vocalement très bien préservée, qui sait faire rire le public sans en faire trop, tandis que la présence de , autrefois grand Don Giovanni, Guglielmo et Comte Almaviva, est un grand luxe en Alfonso, qu'il chante encore avec une chaleur, un éclat et une sûreté impressionnants.

A la tête de Wiener Philharmoniker somptueux, dont les vents, si importants dans cet opéra, font preuve d'enthousiasme et d'une merveilleuse palette de couleurs, a sorti la baguette de plume de son étui. Il dirige ce Così fan Tutte avec une légèreté et une minutie admirables, privilégiant clarté et articulation. Il soutient amoureusement ses chanteurs, mène les ensembles avec élan et vivacité, et coordonne bien le plateau et la fosse, tâche difficile car les chanteurs sont très souvent dispersés sur la scène. Les chaleureux applaudissements qu'il reçoit, du public et de l'orchestre, sont totalement mérités.

En conclusion, ce Così fan Tutte à la mise en scène sage et belle, fait honneur au en présentant ce qu'on en attend : quelques-uns uns des titulaires incontestables de leurs rôles sur les grandes scènes internationales, en pleine forme, sous la conduite d'un chef qui a le «niveau Wiener Philharmoniker».

Crédit photographique : © Bernd Uhlig

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