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Don Juan à l’hôtel

Vienne célèbre Mozart en cette année des 250 ans de sa naissance et le moins que l'on puisse dire c'est que le visiteur frise l'overdose !

Un parcours auditif «Calling Mozart» proposant au touriste de se familiariser rapidement avec Mozart à Vienne a été installé à travers la ville, un immonde «centre d'information Mozart» jouxte le Staatsoper, alors qu'une navrante exposition de l'Albertina ne dépasse pas le stade de la gentille évocation. Le pire réside dans l'actualisation à toutes les sauces de l'enfant de Salzbourg. L'exposition Mozart de l'Albertina, propose une section où des «créateurs» montrent leurs actualisations du compositeur : le ridicule côtoie le vulgaire. Mais le meilleur reste à venir, ainsi en septembre, les Viennois pourront se déhancher lors de quelques soirées musiques électroniques baptisées «ModernistMozart», le texte de présentation de la chose établissant un parallèle entre Mozart «le rebelle» et les créateurs de musique électronique, le tout bénéficiant du généreux soutien de la «Red Bull Music Academy». Cette ambiance viennoise particulière rend encore plus indigeste qu'à l'accoutumée, les envahissants démarcheurs de concerts pour touristes en costumes d'époque à l'esthétique perruque et basket Nike®.

Fort heureusement, le Festival Klangbogen a une toute autre approche. Cette année anniversaire est également importante car le théâtre An der Wien où sont produits les plus importants programmes du festival rouvre ses portes en tant que maison d'opéra à part entière. C'est donc après le Staatsoper, le Volksoper et le Kammeroper, la quatrième maison d'opéra de la cité. La programmation inaugurale, grand luxe, propose une sélection d'opéras de Mozart dans des productions internationales : le public pouvait ainsi entendre et voir le Così fan Tutte scénographié par Patrice Chéreau et l'Idomeneo mis en scène par . La saison estivale de Klangbogen offre une intéressante mise en perspective du Don Giovanni de Mozart dans la version viennoise avec deux autres œuvres inspirées du mythe : Flammen de et une création du compositeur Erik Højsgaard : Don Juan kommt aus dem Krieg.

Coproduit avec l'opéra du Danemark ce Don Juan se déroule dans un hôtel. Leporello est le réceptionniste alors que son maître semble l'irrévérencieux propriétaire des lieux. Donna Anna et Donna Elvira sont des clientes tandis que Zerline et Masetto font partie du service d'étage. Le metteur en scène Keith Warner impose une ambiance noire mais il se plait à traiter quelques scènes avec une belle légèreté digne du vaudeville. Pris dans son ensemble ce spectacle est très réussi. L'acte I débute sur les chapeaux de roues, les idées sont multiples et le spectateur a du mal à suivre le rythme ; on relève ainsi un désopilant air du catalogue où Leporello illustre les conquêtes de son maître à coups d'accessoires locaux. Mais à l'acte II, le rythme s'essouffle et les pistes suggérées par le metteur en scène s'alourdissent, la scène de torture de Leporello à coups de fer à repasser s'avérant plutôt lourde. Le final de l'œuvre est transposé de nombreuses années après les évènements précédents : Don Giovanni, Leporello et Donna Elvira grisonnants semblent prisonniers de leurs passés et de leurs fantasmes. Warner se paye alors une toute petite fantaisie par rapport au livret, c'est Donna Elvira qui blesse par mégarde Don Juan, le commandeur n'ayant plus qu'à lui livrer le coup de grâce.

Dans la fosse, on retrouve deux fidèles du festival Klangbogen : le chef d'orchestre français à la tête de son orchestre de la Radio de Vienne. De Billy connaît bien cette œuvre pour l'avoir enregistrée pour le label Arte Nova. Sa direction est très française, assez proche du style de Sylvain Cambreling : tempi rapides, articulations sèches et importance accordée aux dynamiques. Le pendant de cette approche est la relative absence de profondeur de cette direction. Mais le chef d'orchestre, en grand connaisseur de la fosse, est grandement attentif au chant et son travail contribue amplement à la réussite de la soirée.

La distribution est écrasée par le Don Juan de qui rejoint les grands titulaires actuels du rôle : abattage, charisme, aisance vocale, musicalité, chacune de ses interventions soulève l'enthousiasme. On sera plus circonspect devant le Leporello d'Hanno Müller-Brachmann, l'une des coqueluches des scènes allemandes. Ce chanteur est un très bon musicien, mais il manque de legato et de projection pour incarner le valet du séducteur. Le commandeur d' est très imposant vocalement alors que le Masetto de Markus Buttler est correct en dépit d'un jeu scénique passablement appuyé qui réduit le personnage à un valet d'opérette. La distribution féminine est solide à défaut d'être hors du commun. La Donna Anna de la lumineuse fait forte impression au premier acte : timbre charnu, aigus léger, charisme scénique, mais elle connaît quelques problèmes avec les aigus au second acte. Heidi Brunner est une très bonne Donna Elvira, parfaite dans son rôle de femme déchue, on regrette juste un timbre plutôt banal. La Zerlina d'Adriane Querioz est de la même veine : très bonne musicienne, engagée dans son rôle mais assez avare de personnalité. L'excellent chœur Arnold Schœnberg est un compagnon de prestige et de luxe pour cette production.

En dépit de nos réserves, il faut saluer la qualité globale de ce spectacle qui avec une bonne mise en scène, un cast très international et une direction musicale fine et attentive, a marqué cette année Mozart bien plus que la production éventée du festival de Salzbourg.

Crédits photographiques : © Armin Bardel, © Rolf Bock

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