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Il Tabarro & Suor Angelica, du craquement d’une allumette à l’embrasement d’une nonne

L'Opéra de Montréal a misé, pour ouvrir la nouvelle saison lyrique, sur deux œuvres lapidaires d'un dramatisme éprouvant.

Les difficultés financières qui minent la maison, – rappelons le départ précipité des directeurs artistique et général, respectivement et , et le remerciement de nombreux employés en vue d'une restructuration, – n'ont en aucun cas entaché le spectacle d'une très belle tenue et sans compromis. Sans doute aurait-il été salutaire de produire dans son intégralité le Triptyque original, en incluant Gianni Schicchi, cette perle noire de l'opéra italien, d'après la Divine Comédie de Dante. Il Tabarro, résolument vériste et Suor Angelica, tout aussi intense mais transposé dans le monde extatique d'un cloître, forment un diptyque sombre, unidimensionnel, voire monochrome.

Dans Il Tabarro (La Houppelande), le décor assez réaliste se réduit à une péniche ancrée au bord de la Seine ; A l'arrière plan, une passerelle métallique surélevée et comme toile de fond, un ciel chamarré et l'orbe de la lune, qui au gré des scènes, se teintera de sang. Au lever du rideau, six personnages font craquer une allumette dans un ciel d'encre ; tandis que la scène finale de Suor Angelica s'illumine dans un embrasement céleste. L'efficacité de la mise en scène d' et des décors de Teresa Przybylski reposent sur une lecture au premier degré. Cela est conforme à la simplicité de l'intrigue et sert admirable le théâtre puccinien. De plus, les éclairages habilement suggérés d'Anne-Catherine Simard-Deraspe oscillent de la réalité la plus crue à la surenchère mystique. Notons toutefois que contrairement aux didascalies de la partition de Suor Angelica, la Vierge et l'Enfant n'apparaissent plus à la fin de l'ouvrage. Certes, nous reverrons avec plus ou moins de subtilité, le ciel tourmenté, gonflé des nuages vengeurs de la malédiction divine. Le décor nous renvoie l'image renversée d'une maison de prières avec des colonnes s'élevant vers le ciel et une croix aux teintes changeantes qui s'enfonce comme une pique dans le cœur de la nonne. La vision des deux mises en scène pourrait se résumer ainsi : une marche au supplice implacable, sans possibilité de rédemption.

Retenons surtout les deux protagonistes de la soirée : Luigi, interprété par le ténor , en grande forme vocalement et fort crédible sur scène, et la merveilleuse Marie-Josée Lord, voix extatique, d'une sincérité exemplaire dans son rôle, chaudement applaudie à la fin du spectacle. Dans les deux distributions, tous les autres personnages sont crédibles, des plus petits aux plus grands rôles, l'interprétation est éblouissante. dans Sœur Genovieffa projette une belle voix de soprano. en Abbesse entourée de en Sœur Osmina ou de en Sœur quêteuse, sont remarquables.

Soulignons également, la mezzo-soprano Robynne Redmon dans La Frugola d'Il Tabarro mais surtout Zia Principessa de Suor Angelica, à la voix au grave profond, un personnage cynique, du même sang que Scarpia. Nous pourrions en dire autant de Grant Youngblood en Michele, qui possède non seulement une superbe voix de baryton mais aussi fait vivre son personnage, cachant sa blessure infligée par l'adultère de sa femme et préparant dans l'ombre, la terrible vengeance du mari bafoué. Attendant son heure, il ouvre les pans de sa houppelande, découvrant dans un geste théâtral, le cadavre de l'amant de sa femme. Nous passons deux heures de spectacle en excellente compagnie, malgré la lourdeur des deux intrigues. Enfin, les chœurs de l'Opéra de Montréal sont d'une grande exactitude – particulièrement les voix féminines – et l'Orchestre de Montréal, sous la gouverne de , donne les couleurs chatoyantes ou diaphanes dans un univers sonore qui n'appartient qu'à Puccini.

Crédit photographique : © Yves Renaud

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