- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Giulio Cesare à Glyndebourne : McVicar conquérant

Amis mélomanes qui restez réfractaires à l'opéra baroque, qui jugez ses situations dramatiques et ses caractères stéréotypés et surannés, qui mourrez d'ennui aux redondances de ses da capo, jetez un œil à ce Giulio Cesare enregistré en 2005 à Glyndebourne et il se pourrait bien que toutes vos réserves s'effacent…

Voilà en effet un des spectacles récents les plus vivants, les plus réjouissants, les plus équilibrés qu'il nous ait été donné de voir. A tout seigneur tout honneur, le mérite en revient d'abord à Haendel, dont il s'agit incontestablement d'un des opéras les plus réussis, dramatiquement et musicalement, aidé par un livret pour une fois crédible et authentiquement théâtral de Nicola Francesco Haym. Le mérite en revient aussi, de la fosse d'orchestre à la scène, à un vrai travail d'équipe, dont chaque élément joue le jeu et s'investit à 200% dans le projet commun et dont la réussite d'ensemble vaut bien plus que la somme algébrique des qualités de chacun.

Le maître d'œuvre de ce petit bijou reste incontestablement le metteur en scène . Après une Agrippina du même Haendel à La Monnaie de Bruxelles déjà anthologique, puis une Semele, à notre goût moins réussie, au Théâtre des Champs Elysées, il confirme son adéquation avec le genre de l'opéra baroque et ses codes, dont il nous propose une relecture actualisée et revivifiée sans trahir ce qui en fait l'essence. Dans un décor unique d'enfilade de colonnes d'un parfait classicisme, à géométrie variable, l'action est transposée à l'époque de l'occupation de l'Egypte par l'Angleterre victorienne, à la fin du XIXème siècle. Les rouleaux mécaniques de la mer en fond de scène, sillonnée par des bateaux de bois, les costumes somptueux sont bien sûr un clin d'œil aux machineries et au style de l'époque baroque. Aidé par d'authentiques chanteurs-acteurs et par une direction d'une précision sidérante, nous offre un spectacle sans aucun temps mort, chorégraphie les airs en s'inspirant du cinéma musical indien, fait vivre scéniquement les da capo, ose des gags hilarants mais sait aussi ménager des plages de suspension pour les moments de pure émotion, le tout dans un respect constant des situations dramatiques et des personnages ainsi que de leur évolution. Au final, ces presque quatre heures de musique passent comme un enchantement, sans une seule seconde d'ennui.

En tête de la distribution, rouée, intrigante, usant de ses charmes incontestables pour flouer tous les hommes, la Cleopatra de brûle les planches et, en formidable meneuse de revue, embrase le public de Glyndebourne. Un tel abattage fait oublier les limitations du grave, les acidités et la justesse approximative de certains aigus, les minauderies stylistiquement contestables qui avaient déjà entaché ses prestations parisiennes de 2002 dans ce rôle et qui sont, ici, nettement moins apparentes. Elle réussit notamment un déchirant « Se pieta di me non senti» qui conclut la première partie du spectacle (et le second DVD du coffret).

Dans le rôle de Giulio Cesare, réussit un travestissement troublant et crédible. En dépit d'une fatigue perceptible au 3ème acte, l'égalité des registres, la précision et la variété des ornements, la vélocité emportent l'adhésion, comme, par exemple, dans son formidable numéro avec violon « Se in fiorito ameno prato » du second acte.

Dans le rôle de Sesto, , peu habituée à ce répertoire, parvient néanmoins à une composition convaincante du fils torturé par le devoir et l'image du père défunt. Son legato et ses capacités de coloration font merveille dans les airs lents de nostalgie ou de douleur (un « Cara speme » en apesanteur) mais elle paraît moins à son aise dans les vocalises des airs rapides ou de fureur. , de son beau timbre émouvant de contralto, au vibrato un peu marqué, campe une Cornelia d'une grande noblesse et d'un tragique antique.

incarne magnifiquement un Tolomeo dégénéré, tyrannique, veule et pitoyable. Sa voix flexible et agile domine la tessiture du rôle et les redoutables écarts de « Domero la tua fierezza ». Rachid Ben Aslam est Nireno, le second contre-ténor. On saura gré à d'avoir conservé son air « Chi perde un momento » et de nous permettre ainsi d'apprécier ses grandes qualités de danseur autant que de chanteur.

Le beau et menaçant propose un Achilla impressionnant, sadique et violent, tourmentant et tentant même de violer la pauvre Cornelia. Sur le strict plan vocal, avec son registre grave éteint, son émission brutalisée et sa ligne malmenée, il apparaît en-deçà du reste de la distribution.

A la baguette, prend visiblement autant de plaisir que ses chanteurs. Il trouve les pulsations justes et dansantes des airs vifs mais obtient aussi, d'un parfait en tous ses pupitres, des couleurs et des sonorités d'une grande poésie pour les moments d'introspection.

En bonus, une très intéressante compilation d'interviews des principaux artisans de ce spectacle, fort éclairante sur leurs motivations et leur approche de Haendel (Christie et McVicar en particulier) et un portrait de beaucoup plus dispensable, à moins que vous ne souhaitiez tout savoir sur son art de cultiver les herbes aromatiques ou préparer les pâtes au gruyère…

Ce Giulio Cesare constitue donc une contribution majeure à la vidéographie des opéras de Haendel et un must absolu de toute vidéothèque équilibrée.

(Visited 821 times, 1 visits today)