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Excellent Gilles Ragon dans Le Pays du Sourire

L'amorce du spectacle était quelque peu hésitante, comme si le genre hybride de l'opérette – victime de la désuétude culturelle du monde qui en a vu la gloire – devait toujours batailler pour trouver le ton juste, tous interprètes confondus.

En effet, au premier acte de ce Pays du Sourire, entre la comédie coquine (Ludovic Crombé élégamment égrillard dans le rôle du Comte de Lichtenfels) et l'intrigue amoureuse naissante, acteurs et musiciens n'étaient pas toujours au diapason. Mais dès que s'est ouvert sur le palais de Pékin (acte II) le rideau-parchemin transparent aux contours de planisphère, la qualité de l'ensemble a immédiatement franchi une marche, et ce jusqu'à la fin. Le grand air du prince Sou-Chong « Je t'ai donné mon cœur » était digne des plus grandes œuvres du répertoire, et , qui peu à peu s'est mis à habiter le rôle avec une poignante intensité, a été très vivement ovationné, et a immédiatement bissé l'air en allemand. Nouvelle ovation. Quant au duo « Mon amour et ton amour sont nés le même jour », un grand bravo aux interprètes : , récemment sorti du CNIPAL (Centre Nationale d'Insertion professionnelle des Artistes Lyriques) de Marseille, que nous avions remarqué ici même en Mercutio dans un extrait du Roméo et Juliette de Gounod, et le « petit bibelot chinois », la mutine et délicate Sophie Haudebourg, nous ont convaincus que, hors l'instant présent, « le reste n'est plus rien ». Patrick Vilet en Prince Tchang a promené son austère majesté, et Jean-Philippe Corre a campé un eunuque folklorique à souhait. Il n'est guère que la grande Caroline Mutel qui, peut-être trop attendue, n'a été « que » bonne, même si sa prestation vocale a été irréprochable.

Soulignons un final qui ne manquait pas de sel. Il fallait bien la brusque irruption d'une équipe de réalisation cinématographique, et le pastiche d'une scène de remise de Césars, sur fond de chutes de tournage du spectacle même, projetées sur un écran descendu des cintres, pour imposer une distanciation qui n'avait rien de brechtien mais qui s'avérait nécessaire pour absorber l'absence de « happy end »… au pays du sourire !

La conception scénique de Paul-Emile Fourny n'avait rien de révolutionnaire, mais s'élargissait avec pertinence à l'ensemble de l'espace. Une avant-scène bienvenue projetait les artistes au sein même de la salle : effet de proximité garanti. Et la scission des chœurs, de part et d'autre, donnait une dimension de tragédie antique. Les décors de Caroline Constantin, suggestifs sans être sobres, restituaient discrètement les diverses atmosphères. Les lumières de réussissaient à mettre les artistes en valeur… et à se faire oublier. Les costumes, élaborés par Véronique Bellone qui continue son engagement régional – Avignon, Orange et Nice -, étaient intelligemment conçus pour habiller sans alourdir ni masquer. Quant à Eric Belaud, engagé comme jeune danseur il y a une dizaine d'années à l'Opéra-Théâtre d'Avignon, puis très vite soliste, il a signé sa première chorégraphie en 1999, et poursuit en ce domaine un travail d'élégance et de sensibilité. L'OLRAP (Orchestre Lyrique de Région Avignon-Provence) enfin, ici dirigé par comme souvent depuis 1994 – il dirigera aussi La Traviata fin novembre -, a excellemment confirmé le nouveau souffle que vient de lui donner son jeune chef charismatique . Oui, cette production peut légitimement donner… le sourire !

Crédit photographique :  ; , Caroline Motel, & Sophie Haudebourg © Opéra-théâtre d'Avignon

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