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Yannis Kokkos, le rêve d’un enfant poète

est un poète, un rêveur, un enfant. Dans ces Voyages de M. Brouček, l'œuvre lyrique la plus longue à accoucher de , le metteur en scène grec s'offre des paysages surréalistes et enchanteurs comme dans un livre d'images fantastiques.

Deux actes comme deux opéras. Si le premier est un voyage dans la Lune qui permet à Janáček de régler ses comptes avec la société bourgeoise et intellectuelle de Prague, Kokkos l'illumine d'arbres improbables poussant dans l'immédiateté. Le second acte terminé à l'aube de la Première Guerre Mondiale, le second acte se situant dans l'univers médiéval du XVe siècle, s'il offre au compositeur la possibilité d'un grand à l'Histoire en affirmant l'indépendance de la Tchéchoslovaquie, le metteur en scène l'illustre comme une fresque aux couleurs passées comme on en voit encore dans les châteaux. Spectateur détaché de ces deux rêves, Monsieur Brouček, espèce de Falstaff pathétique et touchant, reste dans son matérialisme de petit bourgeois, préférant manger des saucisses et boire de la bière plutôt que s'attarder aux messages contenus dans ses propres rêves.

Illustrateur merveilleux, raconte avec une inventivité scénographique extraordinaire, les aventures du petit homme. Transporté sur l'astre sélénite, Monsieur Brouček rencontre les personnages de sa vie terrestre. Mazal, l'amoureux de Málinka sur Terre réapparaît sous les traits du poète Azuré alors que la jeune fille est devenue Ethéréa. L'aubergiste Würfl devient L'Illuminé. Un univers coloré et grouillant des masques et des perruques, des têtes démesurément agrandies des intellectuels, d'un cheval ailé, qu'une pluie de bulles de savon présente au spectateur un festival visuel parfois trop envahissant pour suivre l'imagination débordante du metteur en scène et d'un livret souvent logorrhéique et dont les références historiques demeurent obscures pour qui ignore l'histoire du peuple tchèque. Reste que sans ce remplissage scénique apportant une légèreté salutaire à ce spectacle, une approche plus sérieuse à l'œuvre du compositeur tchèque aurait été sinon malvenue, du moins d'un ennui certain.

Si la mode scénographique actuelle est de projeter des images vidéo à tout-va, il faut louer celles qu'Eric Duranteau propose. Avec un sens de l'esthétique et du mouvement extraordinaires, ses images d'une Prague sortant de terre ou des souterrains caverneux du château du roi Venceslas sont admirables de sens et de beauté. Un travail artistique majeur et éphémère qu'on ne se lasse pas de contempler.

Sur la scène, les protagonistes s'emparent du livret dans une comédie burlesque et charmante. Dans le rôle-titre, le ténor est l'homme de l'emploi. Sonore et claironnant, la voix perçant largement au-dessus de l'orchestre, rondouillard à souhaits, il campe son personnage avec toute la gouaille qu'on peut espérer. Lourd sans être pesant, égoïste sans être veule, râleur sans être téméraire, son Monsieur Brouček en est presque sympathique. Autre voix superbement expressive, le jeune ténor (Mazal, Azuré, Petřik) surprend par l'aisance vocale qu'il affiche. Déjà remarqué lors de ses précédentes apparitions sur la scène genevoise (Jenufa, Katia Kabanova, De la maison des morts, Lady Macbeth of Mzensk), il semble avoir acquis une assurance encore plus grande. Du côté féminin, la soprano (Málinka, Ethéréa, Kunka) accuse une émission vocale souvent acide. A noter, le somptueux Jonathan Veira (Würfl, Illuminé, L'Echevin) vocalement impeccable.

Sous l'excellente baguette du jeune chef , l' offre une prestation des plus honorables de cette partition particulièrement complexe. En constantes explosions, elle n'offre guère de leitmotiv auxquels s'accrocher. Seuls quelques grands moments de lyrisme apaisent les ambiances pointillistes durant les changements de décors et pendant l'air sublime du poète Svatopluk Čech (superbement chanté par le baryton Marc Mazuir).

Une soirée haute en couleurs vocales, scéniques et orchestrales.

Crédit photographique : GTG/Pierre-Antoine Grisoni

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