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Fabio Biondi et Europa Galante jouent Bajazet

Même si les grands opéras de Vivaldi sont désormais accessibles en CD, les occasions d'entendre ces ouvrages en live sont particulièrement rares, autant à la scène qu'au concert. C'est ainsi qu'on saluera tout particulièrement l'initiative de et de son ensemble de faire entendre à leur public ce Bajazet, opéra pasticcio créé par le Nuovo Teatro dell'Academia de Vérone durant le carnaval de 1735.

Le livret qui servit de support à Vivaldi, un texte dû à la plume d'Agostino Piovene, est d'ailleurs le même que celui qui avait déjà été adapté en Angleterre pour le Tamerlano (1724) de Haendel. L'ouvrage se présente donc comme la succession de magnifiques arias, réparties de façon relativement équitable entre les six acteurs du drame. Le musicologue Frédéric Delaméa a par ailleurs montré comment les choix musicaux de Vivaldi au moment de la conception de son pasticcio s'étaient fait l'écho de l'évolution du genre lyrique italien. Ainsi, les airs dévolus aux personnages incarnant dans la trame dramatique les figures de la résistance (Bajazet, Asteria, Idaspe) sont-ils de la main de Vivaldi lui-même, – les figures de l'hégémonie et de l'oppression (Tamerlano, Andronico, Irene) se voyant au contraire allouer des arias composées par des compositeurs (notamment Hasse et Giacomelli) plus fortement inspirés par la tradition – forcément perçue comme hégémonique… – napolitaine. Quoi qu'il en soit, il s'agit d'une partition d'une très grande beauté musicale, comme l'avait d'ailleurs déjà révélé l'enregistrement discographique effectué en avril 2004 par les mêmes et .

La distribution réunie dans la salle de l'Arsenal ne peut certes pas rivaliser complètement avec la brochette de stars réunie pour le CD, et c'est en vain qu'on cherchera les timbres soyeux de Patrizia Ciofi, David Daniels, Elena Garanca, etc. Le niveau atteint n'en est pas moins d'une exceptionnelle qualité artistique, et autant Lucia Cirillo que , par exemple, s'acquittent sans problème des difficultés techniques de leurs rôles respectifs. , dotée d'un timbre assez pauvre en couleurs, finit par remporter l'adhésion grâce à sa musicalité et au souffle dramatique qu'elle parvient à faire passer dans sa superbe scène du troisième acte. Dans le rôle de Tamerlano, fait merveille par sa technique sans faille et par la qualité de son somptueux timbre de contralto. Impression tout aussi positive du côté du baryton , même si le rôle de Bajazet est curieusement moins développé musicalement que celui des autres personnages du drame. Seule rescapée de la distribution du CD, assume sans difficulté son rôle de star, et régale le public de sa virtuosité époustouflante, de sa belle musicalité et de ses magnifiques graves cuivrés ; si on a pu dire parfois que les incarnations live de la diva alaskienne n'étaient pas toujours du niveau de ses enregistrements, tel n'était certainement pas le cas de la soirée offerte samedi soir au public de l'Arsenal.

La prestation d', enfin, est un pur enchantement, et on ne saurait se lasser de cette sonorité juteuse, épanouie et sensuelle, qui semble allier l'art de chanter et de faire chanter à une dimension théâtrale hors du commun. Dirigeant le violon à la main, parvient justement à marier cette rondeur sonore tellement caractéristique de la musique du Prete rosso à des trésors de théâtralité qu'on ne demande qu'à découvrir ou redécouvrir. Vivement de nouvelles révélations vivaldiennes…

Crédit photographique : Fabio Biondi © Simon Fowler

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