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Un éblouissement de couleurs

Tout comme l'orchestre de Lyon – sa ville d'origine – l' fait partie du « Domaine privé » de qui, à l'âge de dix neuf ans, est choisi par Pierre Boulez pour être le premier pianiste soliste de cette phalange d'exception.

Le programme de la soirée incluant une création mondiale et commande de l'Ensemble débutait par l'interrogation métaphysique – celle de notre existence dans l'univers – lancée par dans The Unanswered Question (« Question laissée sans réponse »). La mise en espace très étudiée jouant sur les effets de lumière et de mystère et la gestique épurée de nous conviait en ce début de concert à une sorte de cérémonial d'ouverture habité par le souffle mystique. De la collaboration de avec la poétesse Rimma Dalos vont naître dans la même année deux recueils de courts poèmes chantés : les Messages de feu Demoiselle R. V. Troussova op. 17 et les scènes d'un roman op. 19, quinze miniatures traduisant le vide existentiel causé par une déception amoureuse. Dans le style aphoristique de Kurtag, la voix instaure un dialogue intime, une sorte de confidence avec les instruments dont la couleur – celle du cymbalum de Michel Cerutti – et le jeu même évoquent la musique tzigane. Avec juste ce qu'il faut de retenue mais l'émotion est toujours à fleur de lèvres, la merveilleuse soprano allemande Marie Husmann – actrice et chanteuse – fait revivre cette narration douloureuse cherchant l'empathie avec le son instrumental, celui de en particulier dont la chaleur communicative intensifie le message.

La première partie de ce concert culminait avec les « Trois Inventions » pour orchestre de chambre de , une œuvre du compositeur britannique crée en 1995 au Festival de Salzbourg. Le premier mouvement porte la dédicace « in memory of » dont Benjamin fut l'élève prodige dès l'âge de 16 ans ! La facture en est éblouissante dans le choix des alliages sonores, la transparence de l'écriture qui ne cède en rien à la complexité des textures. Benjamin renoue avec l'art savant du contrepoint et des superpositions temporelles que Suzanna Mälkki détaille avec une maîtrise souveraine. Le troisième mouvement rythmé par le jeu antiphonique des grosses caisses et des gongs placés sur le devant de la scène célèbre un rituel étrange mené par la voix profonde et caverneuse du contrebasson.

C'est à Daï Fujikura, un jeune compositeur japonais d'à peine 31 ans, élève de Benjamin au King's collège de Londres où il habite depuis ses quinze ans, que l'Ensemble Intercomporain avait passé commande. « …as I am… » est une pièce pour mezzo-soprano et grand ensemble – l'EIC au complet -, fruit d'un travail à deux avec l'écrivain et collaborateur habituel du compositeur, Harry Ross. Mêlant l'allemand, la langue d'Oc et l'anglais, le texte fleuve rend compte des relations orageuses d'un couple considérées du point de vue de la femme. La chanteuse effectue un parcours en cinq points au sein de l'ensemble instrumental qui semble réagir aux sollicitations verbales dans un jeu interactif entre le mot et le son. Maintenant un niveau d'intensité très tendu entre la voix amplifiée – vaillante mais souvent surexposée – de Loré Lixenberg et l'écriture touffue des instruments, cette pièce de 22 minutes laisse transparaître l'engagement d'une forte personnalité même si l'écoute mise à l'épreuve par le niveau de diffusion finit par être saturée par la surenchère sonore.

Après Des Canyons aux étoiles joués à Londres avec l'EIC il y a quelques semaines, , élève d'Yvonne Loriot, avait choisi ce soir les sept Haï-kaï pour cette célébration parisienne du centenaire du compositeur. Résultat du coup de foudre ressenti pour le Japon, cette pièce assez proche des sept épisodes de Chronochromie – un même esprit spéculatif en particulier les anime – met en valeur le piano solo par le biais de brillantes cadences où « chantent » quelques 25 oiseaux japonais. La lecture très analytique qu'en donne avive les couleurs de l'ensemble et fait apprécier les subtilités de l'écriture, celles du Gagaku dans le quatrième mouvement où les huit violons parfaitement synchrones imitent l'orgue à bouche shô. La technique éminemment brillante et l'aura résonante du jeu gorgé d'énergie de dialoguant avec les tutti d'orchestre saturés de rythmes et de chants d'oiseaux convergent vers « cet éblouissement de couleurs » que Messiaen appelait de ses vœux.

Crédir photographique : © Tanja Ahola

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