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Salomé traumatisée

La photo de scène montrée sur la pochette donne le ton : cette Salomé, enregistrée en mars dernier au Covent Garden de Londres, est loin de ce que l'on a l'habitude de voir.

Ici, pas d'érotisme fin de siècle, pas de volupté agrémentée d'une belle touche exotique. L'histoire que nous raconte , c'est l'histoire d'une jeune femme profondément traumatisée, évoluant dans un univers aussi glacial que morbide où l'amour n'a plus de place. Pour cela, le metteur en scène s'est inspiré de Salò de Pier Paolo Pasolini sans pour autant reproduire toute la brutalité du film. L'idée est pourtant la même : sur le haut de la scène divisée en deux, la haute volée s'amuse, alors que dans le bas, le drame se noue. Et lorsque les invités descendent, ils regardent sans même sourciller la scène affreuse qui se passe devant leurs yeux.

Fort heureusement, McVicar disposait d'une troupe d'excellents chanteurs-acteurs pour réaliser ses idées. Ainsi, est le plus charismatique des prophètes, et, en outre, vocalement superlatif. Le Hérode de n'a rien de ridicule ou de grotesque. Il incarne en revanche un tétrache à la fois maniéré, lubrique et dangereux (et très bien chanté). Etant intégré à la Danse des Septs Voiles, le spectateur comprend vite que Hérode a abusé de sa belle-fille depuis son plus jeune âge. Hérodiade est chanté par , femme hautaine, à la voix impressionnante, mais un peu stridente dans les aigus, Narraboth par le jeune ténor qui se fait remarquer grâce à un timbre particulièrement beaux.

Et le rôle-titre ?  n'a certainement pas la plus belle voix du monde. On peut ne pas aimer son vibrato dans le haut du registre, on peut regretter quelques problèmes de justesse dans la scène finale. Et pourtant, sa fille de Judée fascine de sa première entrée jusqu'à l'accord final. Vibrante d'énergie et d'intensité, à la fois sensuelle et répugnante, cette Salomé n'est pourtant pas sexy au premier degré. Michael dresse le portrait d'une femme blessé qui instrumentalise son sex appeal – devant Narraboth et, plus encore, devant son beau-père pour se venger de la torture qu'il lui a infligée.

Pour compléter le bonheur, on trouve dans la fosse. Très attentif aux richesses de l'instrumentation, le jeune chef d'orchestre veille à ne jamais couvrir ses chanteurs. Analytique, mais pas froide, sa lecture est d'une grande tension culminant dans un finale passionnant et expressif. Cette scène finale, que Nadia Michael chante toute couverte de sang, restera définitivement dans les esprits…

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