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Raymonda à l’Opéra de Paris : sauvée !

Il convient parfois de laisser passer quelques représentations avant d'émettre un jugement que d'aucuns jugeraient définitif. Autant Mlle Gillot se montrait jusque là quelque peu hésitante, autant, ce 15 décembre, elle livre un personnage des plus pertinents qu'il puisse être fourni par les Étoiles de l'Opéra.

Là où, parfois, on attend de la virtuosité, elle surprend en y apportant de la douceur, et malgré de longs membres, elle en tire un lyrisme qui force le respect.

A l'inverse, est toujours égal à lui-même : perfection de la danse, sauts amples, symétrie des pas. Dans le rôle ingrat de Jean de Brienne, il faut avouer le léger ennui qui s'empare du spectateur vis-à-vis du prince parti aux Croisades : comment pourrait-on s'identifier à Jean de Brienne, alors que le danseur se débat seulement déjà rien qu'avec les pas ? Le rôle ne laisse, de fait, qu'une impression de prince porteur, et d'accompagnant aux adages ; très certainement, cette caricature du beau et jeune prince a été voulue par Noureev pour n'en faire ressortir que d'autant plus le rôle d'Abderam.

Car le véritable héros masculin est incontestablement le Sarrasin, incarné par dont la grande puissance et la force féline dévastent la scène et font oublier les périls d'une chorégraphie impossible. On ne peut être que lapidaire devant un tel éclatement de beauté artistique.

Dans les rôles secondaires, les deux amies de Raymonda, Clémence et Henriette sont les malheureuses qui n'ont que leur technique pour convaincre, et malheureusement, ce n'est pas le couple le plus assorti que celui formé par et . Leurs caractéristiques sont un peu trop différentes et la physionomie de l'une s'accommode mal à celle de l'autre.

Toutefois, Mlle Gilbert est époustouflante : on ne doutera jamais de sa qualité devant tant de vaillance dans les équilibres et devant tant d'aplomb dans les tours. Aussi bien lyrique dans sa première variation, que de caractère et de générosité dans la troisième, elle éblouit et surprend toujours. Il faut tout simplement espérer que cela ne devienne pas une habitude que d'époustoufler, car dans un rôle plus long, il s'agira aussi d'émouvoir.

Mlle Cozette ne dépareille pas, mais, on ne sait pas trop quoi retenir de la performance ; elle danse très correctement, et rien ne s'imprime comme étant exceptionnel. On en vient même à regarder Aurélia Bellet et qui officient derrière elle dans le trio du troisième acte.

sait ponctuer son intervention dans le duo du premier acte de façon fort gracieuse ; il bat élégamment et son épaulement est suggestif. A l'inverse, manque d'une certaine fermeté qui contraint à rater quelque peu la musicalité de son passage.

, en remplacement de , est de grande qualité ; malgré une très fâcheuse tendance à utiliser à l'excès sa souplesse, il saute haut, et avec une énergie combative. On a toujours autant de plaisir de voir Géraldine Wiart danser, et elle forme avec un ensemble très appréciable.

«espagnolise» à outrance, et pas toujours de façon adéquate.

Le corps de ballet devait être pour Noureev l'écrin dans lequel évoluait la ballerine. La nécessité de faire appel à des surnuméraires dévalue fortement le travail du Corps de Ballet ; dans des constructions aussi complexes constituées par Noureev, comment un jeune danseur peut-il se situer au sein de la troupe, sans rentrer dans un de ses partenaires, sans se tromper de direction, sans faire tomber la ballerine qu'il a dans les bras ? Cela est d'autant plus dommage qu'il suffit de quelques incidents pour obtenir une impression d'à peu près.

Ce regret posé, on se doit bien de remarquer le talent de Mlle Gorse qui ravit dans «la Valse» du premier acte, ainsi que M. Madin, parfait dans le Grand Pas.

L'orchestre est conduit par , très attentif à chacun des artistes qui officient sur scène, et il rend une partition inspirée d'une grande beauté.

Raymonda est un ballet que la Direction de la Danse se doit de reprendre plus régulièrement. S'il a nécessité à Mlle Gillot que son interprétation se développât au cours de ses premiers spectacles, c'est bien qu'il a fallu réintégrer des pas et des attitudes perdues dans la mémoire des danseurs et des maîtres de ballet.

Sans remettre en cause l'héritage Noureev, car l'on pourrait tout dire et son contraire à son endroit, ce serait regrettable, après toutes les captations vidéo que l'on aura faites de ses ballets, d'oublier ce qui a cheminé le long de l'histoire du Ballet de l'Opéra.

Crédit photographique : , , , , Emilie Cozette, © Julien Benhamou

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