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Yvonne, princesse de Bourgogne : tragédie burlesque

Très attendue cette Yvonne, princesse de Bourgogne, et pour plusieurs raisons : création annuelle de l'Opéra National de Paris, nouvelle œuvre lyrique de – la première sur un sujet comique, plateau exceptionnel ( et , , , , …) ainsi que l'ombre de Witold Gombrowicz, auteur de la pièce de théâtre qui sert de support à ce nouvel opéra.

Le sujet est d'un cynisme effroyable : le Prince Philippe se refuse au bonheur charnel, jusqu'à sa rencontre avec Yvonne, jeune fille mutique, décrite par ses tantes comme «lymphatique». Le terme de «mollusque» revient souvent la qualifier. Philippe s'empare de l'occasion : il se fiance à Yvonne, l'exhibe à ses cotés, se raille d'elle en public, l'humilie… Mais la jeune fille – comme il se doit très laide en plus d'être idiote et impassible – tombe amoureuse de son prince bourreau. Les humiliations reprennent de plus belle, rien n'y fait. Le roi, la reine et le chambellan tentent de se faire à l'idée d'une telle future souveraine, mais une seule solution s'impose : le meurtre. Le jour officiel des fiançailles, des filets de perche sont servis. Yvonne s'empiffre, une arête reste coincée dans son gosier, elle s'étouffe…

Les références à Shakespeare abondent dans le livret : le monologue de la reine imaginant l'assassinat d'Yvonne en fait une Lady Macbeth d'opérette, le roi coureur de jupon tient de Falstaff et Obéron, le Prince Philippe et ses amis Cyrille et Cyprien sont de pâles copies de Hamlet, Laërte et Horatio. Yvonne elle-même dans l'acte III, quand le roi et la reine tentent de l'approcher, tient de la Mégère apprivoisée. , dans sa partition, use des mêmes ficelles. A Shakespeare, il répond par Wagner. Chaque fois que le nom d'Yvonne est mentionné surgit le motif du Walhalla de l'Or du Rhin, celui de la Mort de Siegfried pour l'assassinat. Le cynisme initial est détourné musicalement par la parodie (jusqu'à une fausse ouverture à la française quand le Prince Philippe se rend compte qu'il ne peut pas aimer Yvonne).

La partition de est un immense kaléidoscope d'idées musicales, dans un esprit volontairement décalé. L'absurde de la pièce est mis en valeur, au détriment du cynisme expressionniste propre à Gombrowicz. L'orchestration est comme toujours chatoyante, les parties vocales soignées, dans un style déclamatoire proche de celui utilisé par Debussy dans Pelléas et Mélisande (auquel Bœsmans fait aussi référence). est à l'aise dans ce répertoire, aidé par l'excellent dans la fosse.

Les superlatifs manquent pour qualifier ce qui se passe sur scène. Menés par , les chanteurs sont de véritables acteurs, l'action ne souffre d'aucun temps mort, le tout rehaussé par les décors simples de . De cet excellent plateau nous retiendrons , désopilante reine aux faux accents de soprano dramatique, , roi désinvolte et bien en voix, , toujours égal à lui-même dans un rôle de «petit minet», et surtout le vétéran , dont la forme vocale ne semble pas altérée par le poids des ans. Mais la «mention spéciale» revient à , actrice titulaire du premier rôle quasiment muet, qui réussit le tour de force d'habiter la scène par sa seule présence.

Cette nouvelle création de l'Opéra National de Paris (reprise à la Monnaie de Bruxelles en 2010) si elle n'a pas donné naissance à un chef-d'œuvre impérissable est néanmoins un travail exemplaire d'une remarquable homogénéité.

Crédit photographique : (Prince Philippe), (Yvonne) © Ruth Walz / Opéra National de Paris

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