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Billy Budd à fond de cale

Compositeur inclassable, reste encore mal aimé de ce côté-ci de la Manche. Son langage musical s'est forgé à l'écart des courants de la modernité sans pour autant se confondre avec un folklore et un sentimentalisme de pacotille.

Sa musique, alliage complexe entre Berg, Purcell ou Debussy est révélatrice d'une des identités les plus originales du siècle précédent. Contrairement à la plupart de ses contemporains, il s'intéressa au genre lyrique – moins dans un but de le rénover radicalement que pour des raisons essentiellement esthétiques. Billy Budd est un des joyaux emblématiques de la renaissance qu'a connu la musique anglaise dans la période d'après-guerre. Le livret s'inspire d'une nouvelle d'Herman Melville écrite à la fin de sa vie : Billy Budd, marin. Ce huis-clos exclusivement masculin situe l'action sur l'Indomptable, navire anglais parti en guerre au large de la France durant la Révolution. Objet et fascination et de tous les désirs ambigus, Billy Budd y incarne un enfant-trouvé, victime innocente du Mal et des lois humaines.

Pour sa troisième reprise, la production de l'Opéra National de Paris confirme qu'il s'agit là d'un spectacle de très haute tenue. On en viendrait presque à regretter le statique décor d'Alison Chitty, qui impose sa symétrie anguleuse, d'un bleu pesant. Les relations entre les personnages s'organisent autour d'un monotone rapport étage supérieur – étage inférieur rythmé par d'incessantes ouvertures et fermetures des cales. Inévitable également, cet unique mat dressé dans un réseau de fils tendus. En haut de cette triste croix de Lorraine, la projection vocale a tendance à se perdre dans l'immense volume de Bastille. Ces réserves mises à part, c'est un immense sentiment de satisfaction qui domine. Véritable gagnant de cette soirée, le chœur de l'Opéra maîtrise parfaitement son sujet. Il donne une interprétation superlative d'une partition redoutable et surmonte les exigences de la mise en scène de . Les mouvements de foule donnent une dimension dramatique au chant. Cette polyphonie virile et violente soulève d'enthousiasme. Les images sont saisissantes : ces hommes qui envahissent au début le pont du navire, courbés, gémissants, et qui se dressent farouchement à la fin, rebellés contre leurs bourreaux. Citons également la tension inouïe à l'acte II quand tout l'équipage sort de sa léthargie et se prépare au combat : un pur moment de théâtre, sans les habituels pompons et marinières. La direction de exalte avec force et précision une musique à la beauté très cinématographique. Et c'est peu dire que les personnages «prennent bien la lumière».

L'utilisation du saxophone, déjà présent chez Berg, colore admirablement le discours musical et exprime la perversion entre sordide et sensuel. Côté solistes, les voix sont saines et le jeu convaincant. Le jeune baryton américain succède brillamment à Rodney Gilfry ; il réussit le tour de force de situer l'ambigüité du rôle-titre entre héroïsme et victimisation. On reste bouleversé par le monologue de Billy aux fers ponctué par les réponses du piccolo. Au moins du point du vue visuel, on pense davantage à Wozzeck qu'à la référence christique rendue explicite par les librettistes collaborateurs de Britten. incarne toute la noirceur d'âme du sadique John Claggart, prêt à corrompre et à pervertir les êtres. confirme tout le bien que l'on pensait de lui dans un récent Rheingold. Il se tire brillamment du rôle du capitaine Edward Fairfax Vere, il donne au personnage une vraie dimension humaine qui tranche avec la tradition affectée du dédicataire Peter Pears.

Crédit photographique : (Billy Budd) ; (Mr Flint), (Lieutenant Ratcliffe), (Edward Fairfax Vere) et Michael Druiett (Mr Redburn) © Ian Patrick / Opéra National de Paris

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