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Portrait Tristan Murail I & III

Festival 2010

Alors que l'on annonce son retour sur Paris après douze années de vie new-yorkaise où il a enseigné à l'Université de Columbia, est l'invité d'honneur du Festival qui consacre trois soirées consécutives à cette personnalité majeure du mouvement spectral français.

Dans la Salle des concerts de la Cité de la Musique d'abord, l' mettait au programme deux œuvres dont il avait assuré la création il y a vingt ans de cela. L'Esprit des dunes et Serendib données ce soir sous le geste souple autant qu'efficace du jeune chef , sont deux pièces mythiques de tant sur le plan de la poétique sonore que de la technique annexant ou non l'électronique pour nous immerger, selon les termes du compositeur, «au cœur même du sonore». Avec son thème conducteur de hautbois dont les sinuosités microtonales réverbérées dans l'espace assurent le dépaysement dès les premières minutes, L'Esprit des dunes ouvre un imaginaire sonore dont le charme et la richesse – l'évocation du chant diphonique mongol au centre de la pièce par exemple – transcendent son époque de composition. Sans la magie de l'électronique, Serendib – double mythique de l'île de Ceylan découvert par Sinnbad le marin – pour grand ensemble, piano et deux synthétiseurs arbore des couleurs somptueuses mais accuse davantage le poids des années ; sans doute à cause des sonorités datées des synthétiseurs et de certains «gestes compositionnels» qui, s'ils ont été initiés par Murail, seront dupliqués à l'envi par ses suiveurs.

Figuraient en début de soirée deux œuvres de l'iconoclaste et référent , ce «dé-compositeur» que Murail rencontra à Rome lors de son séjour à la Villa Médicis et qu'il fera sortir de l'ombre à la fin des années 70. Ses pièces étonnent encore par leurs formations atypiques – saxophones, contrebasson et contrebasse soutenant le rituel et presque varésien Yamaon – et l'inouï des timbres – ceux d'Okanagon où la harpe muni d'un résonateur et la contrebasse rejoignent l'univers percuté du tam. Des préoccupations semblables président à l'élaboration de Verzeichnete Spur («Traces esquissée»), une pièce lumineuse du compositeur et chef d'orchestre mettant en vedette, au centre de la scène, la contrebasse amplifiée de Frédéric Stochl. Le compositeur y déploie un espace sonore onirique et foisonnant, traversé de déflagrations et déchirures qui trament l'évolution dramaturgique et captivent l'attention tant sur les détails de la texture que l'élaboration de la grande forme éminemment maîtrisée.

On retrouvait les solistes de l'Intercontemporain en formation réduite dans l'Amphithéâtre du Musée le surlendemain. Trois œuvres de moindre envergure et parmi les plus attachantes venaient parfaire le portrait de cette figure tutélaire du mouvement spectral qu'est . Elles sollicitaient toutes des formations atypiques qui relèvent d'une facture originale induite par un projet singulier. Dans Vues aériennes pour cor, violon violoncelle et piano de 1988, Murail tente de capter un objet musical sous quatre éclairages différents en jouant – la dimension est quasi théâtrale – sur les distorsions/métamorphoses du matériau sonore. Garrigues pour flûte, alto, violoncelle et percussions et Les Ruines circulaires III pour clarinette et violon appartiennent à un cycle intitulé Portulan ainsi nommé d'après des cartes de navigation médiévales. L'imaginaire du musicien n'est pas en reste dans ces miniatures où les sons et les couleurs/senteurs tournent dans l'ère sonore : servi avec beaucoup de finesse – l'intonation micro-intervallique y est délectable – par l'ensemble des interprètes, Murail était ce soir le maître de la poésie de l'écoute.

Après Durations III de pour tuba, violon et piano, huit minutes d'une expérience temporelle toujours saisissante, le concert s'achevait par la création d'Iconica IV du jeune , une pièce qu'il réalise dans le cadre du cursus de l'. Sollicitant donc les ressources de l'informatique et celles du piano préparé – brillant – l'œuvre habilement «montée» laisse deviner les ressorts d'une riche personnalité.

Crédit photographique : Tristan Murail © DR

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