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L’Etranger, le Liebestod de Vincent d’Indy

Tous les témoignages l'attestent : fut, durant les trente premières années du XXe siècle, non seulement une autorité reconnue et officielle du monde musical mais encore un compositeur de renommée internationale au même titre que Mahler, Debussy ou Ravel.

Son opéra L'Etranger qui était donné en version concert à Montpellier tend à nous le rappeler avec insistance tant ce chef d'œuvre, qu'exhumaient ce soir les forces vives du Corum, nous révèle de maîtrise orchestrale et de fulgurance dramatique.

Ce troisième et dernier opéra du compositeur français est achevé en 1901 et crée avec succès en 1903 à la Monnaie de Bruxelles alors que Debussy révèle un an plus tôt, au public de l'Opéra-Comique, son Pelléas et Mélisande. A partir de là les destinées divergent : si la musique de d'Indy ne mérite certes pas cet injuste revirement, il faut peut-être invoquer une personnalité fort peu sympathique – nationaliste, monarchiste, ultra-catholique et antisémite dénoncent les critiques les plus sévères – que les mémoires s'empresseront d'oublier à la veille de la montée du fascisme.

A l'instar de Wagner, c'est d'Indy lui-même qui élabore le livret; si ce dernier accuse quelques faiblesses, il a du moins l'avantage d'être concis – en deux actes et six scènes – et d'une grande efficacité dramatique. Aux trois personnages principaux, Vita, fiancée du douanier André, et l'Etranger qui reconnaît en Vita l'âme sœur à laquelle il ne peut prétendre (on pense au Hollandais volant), d'Indy associe la mer, force surnaturelle et salvatrice qui accueillera les deux amants dans une « mort d ‘amour » rejoignant celle de Tristan et Isolde. L'ambiance est marine, parfois proche de l'évocation debussyste et, comme chez Maeterlinck, ne se rattache à aucun temps ni lieu précis : un port au bord de l'océan.

Le premier acte campe un tableau plutôt réaliste coloré par les fréquentes interventions des chœurs – villageois et enfants – sur des chansons populaires un rien naïves mais insérées avec une telle habileté qu'elles contribuent avantageusement au rythme de cette première partie : l'Etranger, accusé de complicité avec les forces occultes, est la cible de l'hostilité villageoise sur fond de misère et de disette. Seule Vita, « invinciblement attirée », a reconnu en lui cette âme généreuse qui l'écarte à jamais de son douanier de fiancé, sans cœur et sans pitié. Introduit par une page orchestrale au contrepoint rigoureux (seule pièce restée au répertoire des orchestres), le second acte bascule dans le surnaturel et le drame sacré ; cet Etranger sans nom (« Je suis celui qui rêve, je suis celui qui aime » dit-il à Vita) porte à son bonnet l'émeraude sacrée dont le feu s'est éteint et l'empêche désormais de vivre son amour; il confie à Vita la « sainte relique » qu'elle jette à la mer; éclate alors la tempête qui va les réunir à jamais dans la mort.

Comme chez Wagner – mais on pense aussi à Puccini, à Strauss… – la trame symphonique draine les leitmotive et donne à la dimension orchestrale un rôle éminemment conducteur. L'Orchestre national de Montpellier en très grande forme sous la belle autorité de – une captation live doit faire l'objet d'un CD – fait apprécier les couleurs de détail autant que la force évocatrice des paysages marins jusqu'au déchainement final qui, de mémoire de tempête, est assurément une page d'anthologie.

Pour autant, D'Indy ménage la voix placée toujours au premier plan, soigne la prosodie, accordant une large part au lyrisme mais toujours contenu, dans l'élan d'une tension dramatique continue. Le timbre sombre et profond de donne tout son mystère à la personnalité de « l'étrange ami » mais on aurait aimé entendre la voix s'épanouir plus librement dans l'aigu du registre. La révélation de la soirée est sans conteste la jeune dont le rôle écrasant est assumé avec une homogénéité de timbre, un abattage technique et un sens de la prosodie remarquables. Dans le deuxième acte, ses deux invocations à la mer d'une ample écriture ornementale sont parmi les sommets de cette partition. Le ténor déçoit en revanche dans ses deux interventions, aggravant, par ses poses stéréotypées, la médiocrité d'un texte peu inspiré. Au côté de Nona Javakhidze, une pléiade de chanteurs assume très honorablement tous les petits rôles tandis que le Chœur de Radio-France, suggérant la houle sur des vocalises menaçantes dans les dernières pages de l'opéra, contribue largement à la qualité de l'ensemble.

Rendons hommage au flair de qui, dans sa quête obstinée, a su dénicher une fois encore la perle rare!

Crédit photographique : , © Luc Jennepin

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