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I Vespri Siciliani à Turin : Viva Verdi !

Il est des œuvres qui feront toujours vibrer la corde patriotique. I Vespri Siciliani de fait partie de celles qui touchent l'âme des Italiens.

Quand l'Orchestre du Regio attaque un Fratelli d'Italia à la fois bouillant et émouvant avant l'ouverture de l'opéra, le public du théâtre se lève comme un seul homme pour chanter l'hymne national avec une ferveur toute latine. Certes, en pleine commémoration du 150e anniversaire de l'unité italienne, la saga verdienne de cette Sicile boutant hors de ses frontières les troupes de Charles d'Anjou lors de la révolte des Vêpres de Pâques 1282 ne pouvait que plaire à la fibre du public.

Dans sa mise en scène parfois brouillonne, délaisse le péplum du livret, comme la facile transcription de l'œuvre à l'époque de Garibaldi si souvent utilisée en toile de fond des mises en scène de cet opéra. Le metteur en scène italien se calque sur un moment trouble, traumatisant et récent de l'Histoire de l'Italie. Un temps qui a vu l'assassinat du juge Giovanni Falcone par la mafia sicilienne. Dans sa conception scénique, Livermore s'érige en voyeur de cette société qui, sous le couvert de l'information télévisée, du «Telegiornale», montre les actes monstrueux de ce pouvoir parallèle. Ainsi, au second acte, un grand praticable noir, chargé de détritus, de voitures calcinées, de poubelles amassées, glisse vers l'avant-scène. Reconstruction, comme un monument idiomatique, de l'endroit où le juge Falcone trouva la mort. C'est là que Giovanni Procida retrouve sa terre adorée de Sicile dans le fameux air O tu Palermo.

Si le prétexte politique de la rencontre des conspirateurs à cet endroit offre une image forte de la mise en scène, cette scène reste néanmoins anecdotique dans le drame humain qui est le nœud central de l'intrigue des Vespri Siciliani. Membre groupe des rebelles, Arrigo apprend qu'il est le fils de Guido di Montforte, le potentat condamné à mort par ses compagnons. Tout ce drame paternel n'a en sorte que peu à faire avec la scénographie de cette production. Il faut cependant relever que l'ingéniosité des mécaniques mouvantes du décor permet d'enchaîner les scènes avec une continuité qu'il est rare d'observer dans ces opéras à caractère historique.

Sur la scène comme dans la fosse, l'aspect musical l'emporte sur tout le reste. La partition de Verdi balaie tout sur son passage. Mais la direction de n'est pas étrangère à cette domination musicale. Le chef italien impose sa musicalité dans un raffinement exceptionnel et un engagement de chaque instant. Ne laissant jamais retomber l'intensité d'une musique généreuse, il dirige un Orchestre du Teatro Regio en grande forme. Dosant les effets sonores de son orchestre pour laisser s'exprimer la parole chantée, chaque protagoniste y trouve son expressivité et s'emploie à ce que son chant emplisse l'espace avec les nuances d'un texte musical puissant.

Grand dominateur du plateau, le ténor (Arrigo) démontre une aisance vocale surprenante dans ce rôle verdien. Après plus de vingt ans de succès dans le domaine du belcanto, la prestation qu'il offre sur la scène du Regio est si convaincante qu'on se demande pourquoi il n'a pas embrassé plus tôt le répertoire verdien. La voix éclatante, généreuse, avec des couleurs du registre médium qui ne sont pas sans rappeler celles d'un Luciano Pavarotti, sa prestation reste une performance incroyable de jeunesse et d'engagement vocal.

Lui donnant la réplique, le récent Sir Riccardo Forth des Puritani de Genève, (Guido di Monforte) campe un personnage d'une grande sensibilité. Tour à tour dans le tourment d'un amour paternel inavoué et dans la rudesse du tyran, il donne les couleurs vocales de ses états d'âme avec une grande musicalité. Sa romance «Sogno, o son desto ?» et son duo avec Arrigo «Ma che ? Fuggi il mio sguardo, o figlio ?» du troisième acte qui mélange l'amour du père avec le dédain du fils, la fureur, la détestation du rebelle envers le tyran a été longuement salué par les applaudissements d'un public totalement conquis par l'engagement de ces deux artistes. (Giovanni Procida) n'a certes pas encore l'aura des grandes basses qui se sont attaqués à ce rôle mythique. Il possède cependant une voix magnifique qui, sans doute, lui permettra d'étoffer ses personnages au fil des ans. Agréable surprise que celle de la jeune soprano italienne (Elena). Ne ménageant pas son talent, elle empoigne son rôle avec détermination offrant au passage une aisance vocale étonnante. Dominant son sujet vocal sans coup férir, on aurait aimé qu'elle se laisse guider par le drame plutôt que par les notes. Ce n'est que dans les ultimes scènes de l'opéra qu'elle se lâche pour offrir des moments d'une rare douceur comme dans son «Arrigo ! ah, parli ad un core» qui précède la célèbre Sicilienne chantée avec charme et agilité.

En résumé, si le décor et le choix scénique n'ont pas toujours totalement convaincu dans une intrigue plus intime et psychologique que politique et historique, la production du Teatro Regio de Turin reste un spectacle de haute tenue dominé par la formidable prestation d'un chef certainement parmi les meilleurs que le théâtre lyrique connaît actuellement.

Crédit photographique : (Elena) ; (Procida) ©Ramella&Giannese

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