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Salzbourg, Marthaler, Makropoulos…

Treize ans après une Káťa Kabanová qui avait fait date, et Angela Denoke font à nouveau de Janáček l'événement du festival de Salzbourg, cette fois dans le cadre en Cinémascope de la plus grande des salles utilisées par le Festival.

Après cet étouffant drame bourgeois, c'est cette fois une comédie mordante, étourdissante, futuriste et métaphysique qui est au programme : , pour son sixième spectacle à Salzbourg, met le temps au centre de son travail, comme il se doit pour un opéra dont l'héroïne a 337 ans. La figure d'une vieille dame (Silvia Fenz), inlassablement ramenée dans sa chambre par un colossal vigile, invariablement touchée par les fleurs qu'il lui apporte, constitue le contrepoint doux-amer de l'invariante lassitude de l'héroïne : le comique de répétition qui constitue un des éléments constitutifs de beaucoup de spectacles de Marthaler est ici comme une image de l'éternel recommencement, touchant ou lamentable, qui ne l'intéresse plus que par bribes. À l'opposé, n'a pas manqué d'adjoindre à la vaste salle de tribunal au goût 1900 qui fait l'essentiel de son décor une salle d'attente, lieu par excellence d'un temps linéaire qui ne se fait sentir que parce qu'il n'avance pas.

La mise en scène de est ainsi faite de petites touches signifiantes, souvent pleines d'humour, qui viennent commenter et donner un sens aux abîmes qu'ouvre l'œuvre, y compris à l'occasion de respirations placées entre les trois actes. Sa direction d'acteurs y est aussi sensationnelle que sa musicalité, héritage de ses débuts comme musicien d'orchestre : la combinaison de cette approche hautement réfléchie et de ces capacités artisanales rares font tout le prix du spectacle, à qui manque peut-être simplement un peu de la radicalité de ses meilleurs spectacles lyriques, de la Traviata parisienne au Tristan de Bayreuth.

Le spectacle, pourtant, n'emporte pas entièrement l'adhésion du point de vue musical. Ce n'est certes pas qui est en cause : mûrie entre autres à l'Opéra de Paris et à la Scala, son Emilia Marty bénéficie d'un des plus beaux instruments qu'on connaisse aujourd'hui, doublé d'un véritable talent scénique qui confère à sa Marty toute l'aura que lui attribue le livret.


Le reste de la distribution est certes éminemment honorable, mais n'appelle pas vraiment les mêmes éloges : ni , ni , ni ne parviennent à dessiner assez vivement leur personnage, d'où une certaine monotonie qui ne rend pas justice à l'écriture incisive de ces dialogues. parvient mieux à mettre en valeur son émouvant personnage, de même que son amoureux , tandis que le personnage essentiel d'Albert Gregor, ici prématurément vieilli, pâtit des visibles efforts que doit fournir pour franchir l'orchestre.

Plutôt qu'aux chanteurs eux-mêmes, c'est cependant à la fosse qu'on fera le reproche de ce manque de relief : si les chanteurs semblent si souvent peiner pour se faire entendre, la cause en est largement le son trop touffu de l', qui produit un Janáček « en gros » là où la puissance de cette musique est dans les détails, qui enrobe là où on cherche le tranchant, qui semble en quelque sorte regretter La Femme sans ombre qu'il joue en alternance sous la direction de Christian Thielemann. La compétence d' n'est pas ici en cause, mais on aurait aimé pouvoir l'admirer avec un orchestre plus idiomatique, plus à l'écoute de l'originalité irréductible de Janáček que soucieux de son propre son.

Crédits photographiques : (Emilia Marty) © Walter Mair

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