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Les limites du système Sokhiev

Avec méticulosité, le jeune poursuit ses explorations du répertoire russe avec son orchestre de Toulouse. Venant après un disque Rachmaninov/Prokofiev  prometteur,   ce volume pose des questions sur la pertinence artistique des choix discographiques de ce tandem.

En dépit de sa difficulté, la Symphonie n°5 de Tchaïkovski, ne cesse de titiller les chefs et les orchestres. Depuis quatre ans, de nombreuses versions sont venues s'ajouter à la pléthore déjà disponible : Manfred Honeck à Pittsburgh (Exton), Mariss Jansons à Munich (BR),  Vassily Petrenko à Liverpool (Avie), Andris Nelsons à Birmingham (Orfeo), Antonio Pappano à Rome (EMI), Gustavo Dudamel à Salzbourg (DGG), Roger Norrington à Stuttgart (Haenssler), Yutaka Sado à Berlin (Challenge), Mikhaïl Pletnev à Moscou (Pentatone), Neeme Järvi à Göteborg (Bis) sans oublier Christopher Poppen à Sarrebruck (Oehms), alors que l'on annonce l'arrivée prochaine d'une nouvelle lecture de Gergiev avec ses forces du Mariinsky, en DVD. À l'exception du phénoménal Mariss Jansons ou du dionysiaque Dudamel, aucune de ces versions n'a marqué la riche discographie. Même le bouillant Andris Nelsons s'y est naufragé, incapable d'unifier cette partition de démonstration. Dans ce contexte, on attendait la lecture d'un chef et d'un orchestre qui ont usé (jusqu'à l'overdose) cette partition lors de leurs nombreuses tournées !

Le résultat est hélas des plus décevants. Sokhiev n'arrive à faire prendre la mayonnaise et la partition apparaît comme une suite de moments décousus, traversés d'inattendus emballements. Le premier mouvement n'a rien d'une marche inexorable du destin et il s'avère plombé par une déconstruction séquencée du discours (on est loin de la leçon de musique de Jansons). Malgré la belle introduction du cor solo, le mouvement lent, est tout aussi à la peine, figé dans une morne plaine instrumentale. Les deux dernières parties sont un peu plus enlevées, mais « l'Andante Maestoso-Allegro Vivace » final n'a rien de logique dans sa soudaine brutalité et ses plâtrées de cuivrages finaux (la prise de son n'aide pas franchement le chef !).

L'autre mauvaise surprise vient de l'orchestre car le disque est un scanner implacable. Si dans les Danses Symphoniques de Rachmaninov, les individualités des pupitres attiraient l'oreille, ces mêmes musiciens peinent face à la combinaison d'ensemble et d'individualité que requiert  cette symphonie. Certes, la phalange sonne « français », avec une certaine verdeur des cordes, une transparence des vents et une imbrication un peu crapoteuse des pupitres, mais son homogénéité est à la peine. Le galbe des cordes n'a strictement rien de séduisant. Les cuivres sont un brin vulgaires, à l'exception du cor solo exemplaire, et seuls les vents amènent le plus de satisfactions par leur précision et leurs timbres. Mais une comparaison avec la redoutable mécanique instrumentale de l'orchestre de Pittsburgh (pour comparer avec la dernière version de cette œuvre commentée sur ResMusica) est mortellement cruelle pour l'orchestre toulousain largement surclassé dans tous les compartiments du jeu.

Le couplage est, quant à lui, des plus consternants : l'Ouverture festive de Chostakovitch ! Cette navrante pièce de circonstance et de propagande est, avec le poème symphonique Octobre ou l'Ouverture sur des thèmes russes et kirghizes, l'une des pires du compositeur ! Cette miniature orchestrale (moins de dix minutes), qui eut son heure de gloire aux Jeux Olympiques de Moscou en 1980, vient à peine gonfler un disque au minutage des plus chiches !

L'Orchestre de Capitole avait marqué son époque en exhumant des partitions rares de la musique française avec Michel Plasson. est certainement peu à l'aise dans cette esthétique, mais la musique russe offre d'innombrables autres partitions pour se faire autrement remarquer au disque.  On pense à une intégrale de la musique du ballet de Chout de Prokofiev, où le côté un peu brut du fini instrumental serait assez à son affaire.

Le marché discographie actuel est impitoyable et ce disque vient se perde dans les profondeurs du classement dans une œuvre aussi rabâchée. A ce titre, il est amusant de constater que la meilleure Symphonie n°5 de Tchaïkovski par un orchestre français est celle du vétéran Kurt Masur, capté en concert avec l'Orchestre national de France (Naïve). Elle est certes massive, carrée mais elle est portée par un souffle qui manque à cette ennuyeuse prestation toulousaine. Du côté des références, elles sont toujours les mêmes : Svetlanov (Canyon, plus que Melodiya), Maazel (Decca), Muti (EMi et Brilliant), Karajan (DGG), Markevitch (Newton), Dorati (Mercury), Mravinsky (DGG), Ormandy (Delos), Bernstein (DGG), Jansons (Chandos ou BR) ou Gergiev (Philips).

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