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Un Rigoletto dans la tradition, en clair-obscur

Cette première de Rigoletto est une reprise de la production de Jérôme Savary, plusieurs fois rodée sur la scène de Bastille, avec une nouvelle distribution.

Massif et imposant, le décor tournant assure une unité aux trois actes : tout de pierres apparentes fissurées, décoré par de discrètes fresques, les mûrs en sont décrépis, rongés à l'image de la corruption qui mine la cour de Mantoue. Sans être novateur, ce parti-pris monumental impressionne de prime abord le spectateur non averti. Les demi-teintes et lumières d'Alain Poisson méritent une mention particulière, avec des couleurs diffuses, brumeuses, jouant sur la semi-obscurité et sur un hédonisme visuel certain.

Les costumes et dispositions scéniques s'inscrivent plutôt dans la lignée des années 1930, avec maints placements des chanteurs à l'avant-scène de face, les interlocuteurs dans leurs dos. Sans sombrer dans le réalisme outrancier, une direction d'acteur plus visible (lors des reprises le metteur en scène d'origine n'est qu'exceptionnellement présent) aurait peut-être évité une certaine immobilité, une confusion – sous prétexte de pénombre – dans la scène de l'enlèvement, ou encore des déplacements et positions peu plausibles dans le fameux quatuor du troisième acte. Verdi, qui s'autoproclamait « homme de théâtre », a composé une musique scénique, dramatique, dont les ressorts se sont quelquefois trouvés estompés ou gommés. Les parties d'orchestre, conduites par la baguette experte de , touchaient juste quoi qu'accentuant parfois ce côté lisse au détriment des multiples passions du melodramma. Des scènes comme l'irruption du Duc () chez Rigoletto ou l'aveu de Gilda à son père ont en revanche véhiculé toute une palette d'émotions, ressenties et intenses.

La prestance et le charisme scénique de la plupart des chanteurs de cette nouvelle distribution demeurent incontestables. On a particulièrement remarqué le timbre et la souplesse de la basse  (Sparafucile) et le Rigoletto de Zeljko Lucic, qui a interprété avec une grande justesse les complexités du rôle titre – notamment son « Cortigiani, vil razza, dannata ». Si la Gilda de était parfois éloignée de la candeur enfantine de son personnage au premier acte, elle s'est révélée exceptionnelle dans le troisième, avec une réelle émotion dans les derniers dialogues et dans le célèbre « Lassù in ciel ». Un moment de délectation vocale. Rien de spectaculaire ni de révolutionnaire donc, mais plutôt une bonne distribution et un vrai plaisir des yeux.

(Le Duc) & (Gilda) / (Matteo Borsa), Alexande Duhame (Ceprano), (Marullo) & Zelko Lucic (Rigoletto) © Opéra national de Paris / Christian Leiber

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