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A Turin, un Hollandais de haut vol

Avec cette reprise de la production de l'Opéra Bastille 2010, le Teatro Regio réussit un « Hollandais » de haut vol.

Haut vol musical avec un prise en main de la partition en lui insufflant une énergie et une intensité interprétative formidables. Survolté, entraîne un orchestre du Teatro Regio en pleine forme dans un déferlant feu d'artifice aux couleurs et aux rythmes chargés d'une puissance peu commune. Dès les premières mesures, la magie Noseda opère. Prise sur un tempo marqué et alerte, le chef italien enflamme l'ouverture soulignant de ses bras et de son corps l'étrangeté du propos de cette légende faite opéra. Un engagement total, annonciateur de sa volonté de porter l'œuvre aux confins de l'imagerie wagnérienne. Et pourtant, point d'excès, point de faire-valoir. Tout au long de l'opéra, on décèle l'envie du chef de montrer les influences belliniennes, les couleurs verdiennes, et les accents mozartiens que Wagner ne peut s'empêcher de citer.

Haut vol scénique avec l'excellente reprise par de la mise en scène de . Si la Senta turinoise est identique à celle de Paris, tous les autres protagonistes sont nouveaux. Quand bien même l'extrême dépouillement du décor (une chambre flanquée d'une porte immense ouvrant sur un fond de mer et un couloir habité par une grande peinture marine) peut sembler désert, la manière de l'habiter avec précision est tout à fait saisissante. Et ce d'autant plus qu'en dehors des quelques protagonistes, la masse des choeurs est énorme. Avec un double chœur d'hommes et de femmes, la direction d'acteurs est réglée comme du papier à musique sans jamais donner l'impression que les mouvements de foule, comme ceux des principaux acteurs, ne sont autres que naturels. Un théâtre vivant.

A noter les quelques intelligentes modifications de l'intrigue opérée par dans sa mise en scène. Ainsi les fileuses, dont on ne sait vraiment ce que ce métier vient faire dans cette aventure maritime, sont ici des petites mains qui cousent ou recousent une immense voile déployée. Et, comme toute l'intrigue se déroule dans l'habitation de Daland, on n'assistera pas au suicide traditionnel de Senta se jetant dans la mer du haut d'une falaise, mais elle se poignardera avec le couteau qu'Erik aura planté de rage dans une table après avoir renoncé à tuer le Hollandais qui lui ravissait sa fiancée.

Haut vol lumineux avec les éclairages de Hans Tölstede (repris par Wolfgang Schünemann) soulignant superbement les temps de l'intrigue. Ainsi, les éclairs de la tempête initiale passant la porte de la chambre sur le mur de laquelle se projette l'ombre grandie du Hollandais prêt à pénétrer le théâtre de son existence.

Haut vol choral avec une distribution irréprochable et investie. A commencer par la soprano allemande (Senta) qui affiche une forme vocale insolente au point que sa belle voix se fait de plus en plus belle au fur et à mesure que s'avance l'opéra. Déjà dans son air d'entrée, elle convainc avec l'affirmation d'une voix projetée avec une aisance et une puissance déconcertantes soudain sublimée par d'extraordinaires pianissimi dans son « Doch, dass der arme Mann… ». Et lorsque dans son tourment final, au moment de se poignarder, elle a encore la force de lancer un terrible et glaçant aigu en lançant un désespéré « Hier steh' ich, treu dir bis zum Tod ! » Admirable Pieczonka qui domine son rôle avec une générosité vocale qu'il est malheureusement rare d'entendre à notre époque.

A ses côtés, la basse américaine (Daland) s'inscrit en un parfait interprète wagnérien. Doté d'une assise vocale solide, il donne de son personnage l'image d'un homme trempé et rude. Sa parfaite diction de la langue allemande, sa projection impeccable, fait apprécier chaque syllabe de son chant.

Avec , la distribution s'approprie de l'une des voix les plus belles qu'on puisse imaginer pour le rôle-titre. Le déjà superbe Jochanaan de Salomé à Turin en 2008, se retrouve ici dans un rôle à la mesure de sa superbe voix. Chargée d'innombrables couleurs, timbrée, elle est d'une richesse harmonique unique conférant une irrésitible attirance à son personnage. Alors vêtu de son lourd manteau noir, sa grande stature impose l'homme spectral, l'illusion du bonheur fuyant. Avare du geste, de sa voix ample, chaude et prenante, exprime merveilleusement la lassitude de l'errance sempiternelle du Hollandais.

Parfaite image du heldentenor, (Erik) ne dément pas sa réputation. Peut-être aurait-on apprécié plus de lyrisme, plus de retenue dans l'expression de son personnage. La voix claironnante, souvent à la limite de la saturation, le ténor américain semblait parfois excessif dans son interprétation, détonnant quelque peu avec la musicalité extrême affichée par ses collègues.

La mezzo soprano Claudia Nicole Bandera (Mary) s'investit magnifiquement dans son rôle. Théâtralement parfaite, ses regards, ses attitudes, sa présence scénique, son charisme font merveille. Dommage que vocalement, elle apparaît manquer de la puissance nécessaire à une telle partition.

Le tableau musical ne serait pas complet sans parler de la formidable prestation des chœurs du Teatro Regio, renforcés pour l'occasion du Coro Maghini. La parfaite préparation de ces deux ensembles a donné un relief sensible à cette production. En particulier, le chœur des matelots « Steuermann, lass die Wacht ! » s'est avéré l'un des moments bénis de ce spectacle.

Pour captiver le spectateur pendant deux heures et demie sans entracte, il faut, outre une mise en scène vivante, le talent d'un chef comme pour qu'en fin de spectacle, le public ne se rende pas compte du temps qu'il a passé à l'écoute de cette musique. C'est bien sûr une immense ovation qui a salué cette prestation. Signe de ce succès, contrairement à la détestable habitude qu'ont certains spectateurs de ce théâtre de quitter la salle pendant le salut des artistes, c'est pendant de longues minutes d'applaudissement et de rappels que chacun est resté en place. Comme si on en redemandait !

Crédit photographique : (Der Holländer) ; © Teatro Regio/Ramella & Giannese

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